« Il faut lutter contre l’enfermement »

Sociologue, chargé de recherche au CNRS, Gilles Chantraine*
a reconstitué le parcours de jeunes incarcérés.
Il met en garde contre l’intensification de la dérive pénale pour
les mineurs.

Marion Dumand  • 6 novembre 2008 abonné·es

En quoi l’association « comparution immédiate et peines plancher » affaiblit-elle la justice des mineurs ?

Durant une comparution immédiate, l’examen du dossier se réduit à l’examen du casier judiciaire, pour les mineurs comme pour les majeurs. En ce sens, une comparution immédiate est très « compa­tible » avec les peines plancher, qui ­déconnectent le critère de récidive du contexte social de l’infraction. Avec ce système, on risque d’apporter les mêmes réponses aux mêmes problèmes en dépit de leur échec répété. Les peines plancher réactivent la « théorie de la dissuasion », selon laquelle quelqu’un commet un délit parce que la réponse pénale n’est pas assez forte. On risque donc également de favoriser l’enracinement des individus dans des carrières de multirécidivistes et d’intensifier la dérive pénale.

« Faire exemple » : les promesses médiatiques du gouvernement ont-elles des conséquences ?

La gestion spectaculaire de la délinquance juvénile est liée au retour de la doctrine de la dissuasion. Il s’agit, en effet, de « faire exemple ». Par là, on occulte des réalités qu’il faudrait mettre au premier plan. Par exemple, presque tous les mineurs incarcérés sont en situation de désaffiliation socio-économique (pauvreté, fragilité familiale) et ont déjà une trajectoire institutionnelle bien remplie (sanction socio-éducative, foyer…). En fait, la gestion spectaculaire de la délinquance est en même temps un message d’action et un aveu d’impuissance de la part de ­l’État : il veut montrer qu’il agit alors qu’il se désinvestit de ce qui touche à la sécurité sociale et existentielle des citoyens.

Que change l’apparition des établissements pour mineurs (EPM) ?

On entend beaucoup d’affirmations sur le fonctionnement des EPM, alors qu’aucune étude globale n’a encore eu lieu. Prudence, donc. On peut néanmoins déjà faire certains constats. D’abord, ils séparent de façon radicale les mineurs des majeurs, contrairement aux quartiers pour mineurs (QM) dans les prisons pour adultes, jamais complètement étanches. Mais seuls sept EPM de soixante places ont été construits. Ils sont donc loin de concerner ­l’ensemble des 750 mineurs incarcérés aujourd’hui. L’autre grand changement concerne l’organisation de la vie quotidienne. Bien que variant d’une prison à l’autre, les QM condamnent globalement les mineurs à l’oisiveté. Il arrive qu’ils soient enfermés 22 heures sur 24 seuls en cellule !
Les EPM sont construits sur un tout autre modèle : celui de la suractivité. Le détenu est censé avoir 20 heures de cours, ­20 heures d’activités socioculturelles et 20 heures de sport par semaine. Cette conception minutée de la vie quotidienne pose ­d’autres problèmes. Alors que les initiateurs des EPM ont rêvé d’un modèle de prison éducative, où les sanctions seraient moins nombreuses, les premiers échos du terrain indiquent plutôt un effet inverse. Actuellement, la conception sécuritaire prime : une prison reste une prison. Reste à suivre l’évolution des EPM.

Les EPM banalisent-ils l’enfermement des mineurs ?

Beaucoup s’en inquiètent. Légitime, cette crainte n’est pas encore légitimée : il faudra voir si les EPM créent réellement un « appel d’air ». Le gouvernement devrait se demander, de son côté, si on s’est déjà donné les moyens d’une assistance éducative de qualité. Les détracteurs des EPM éludent, pour leur part, une question centrale : pourquoi réclamer la fermeture des EPM et pas celle des QM ? Et chacun devrait se poser la question : le respect des droits de l’homme et de l’enfant est-il une priorité dans notre démocratie ? À mon sens, il faudrait lutter par principe contre l’enfermement des mineurs tout en améliorant les conditions de détention pour ceux qui sont déjà incarcérés. Car l’enfermement est une source d’entraves aux droits.

Société
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