Le congrès de rien
À Reims, les socialistes ne sont parvenus à se mettre d’accord ni sur une ligne politique ni sur le nom d’un leader. Tout se joue désormais sur le choix d’un homme ou d’une femme. Un changement déjà historique.
dans l’hebdo N° 1027 Acheter ce numéro
Le congrès de Reims devait être celui d’un sacre. Ce fut un congrès pour rien. « Nous sortons du congrès comme on y est entré », commentait, amer, Michel Sapin, à la sortie de la commission des résolutions, dans la nuit de samedi à dimanche. À l’issue de ce week-end, tout est à refaire.
Le vote tout d’abord, puisque au terme de cinq mois de débat et trois jours de congrès les socialistes ne sont pas parvenus à dégager une majorité autour d’une ligne politique et à s’entendre sur un nom pour la conduire. Ce jeudi, les militants reprennent donc le chemin des urnes pour désigner qui de Ségolène Royal, Martine Aubry ou Benoît Hamon sera leur Premier secrétaire. Compte tenu du nombre de candidats, inédit pour ce type de scrutin, un second tour pourrait être organisé vendredi soir.
À Reims, la tribune n’était ornée d’aucun mot d’ordre. Contrairement à tous les congrès précédents. Magniez/AFP
La constitution d’une majorité, ensuite. Car, quel que soit le résultat du vote, le successeur de François Hollande n’aura pas les coudées franches. Il devra composer avec un conseil national et un bureau national formés à la proportionnelle sur la base du vote sur les motions du 6 novembre. Aucun des candidats à la direction du PS n’y a la majorité. Dès la première réunion du conseil national, initialement prévue le 22 novembre mais repoussée d’une semaine, le nouveau patron du PS devra pourtant faire approuver par cette instance la composition de son secrétariat national. Le spectacle de division qu’ont donné les socialistes, tout au long du week-end, a toutes les chances de se prolonger au moins jusqu’à cette date.
L’affirmation d’une orientation politique, encore. Faute d’accord entre une ou plusieurs motions, à Reims, le Parti socialiste est aujourd’hui un parti sans boussole. On connaît certes les points de vue défendus par chacune des motions dont se réclament les trois candidats, mais le scrutin de ce jeudi, qui est un vote sur les personnes plus que sur les idées, rebat totalement les cartes. Pour l’emporter et disposer d’une majorité, aucun des candidats ne peut s’en tenir aux idées inscrites dans la motion qu’il défendait précédemment. Dimanche, en présentant sa candidature, Martine Aubry a surpris les délégués en annonçant qu’un texte pourrait servir de base de « rassemblement » entre sa motion et celles de Bertrand Delanoë et Benoît Hamon. Négocié dans le secret de réunions en petit comité, ce texte « très clair » , assure-t-elle, reposerait sur plusieurs principes : « La volonté d’un parti à gauche avec la question sociale au cœur de tout, un parti profondément européen, un parti de militants, des alliances à gauche. » Si ce texte existe bien, personne hormis ceux qui l’ont négocié, n’en a eu connaissance. Or, sur la question sociale comme sur l’Europe, il existe un gouffre entre les orientations défendues par Delanoë et Hamon. Il est impossible de les concilier sans reniement de l’un ou de l’autre.
Reconstruire l’image du PS, enfin. Miné par les querelles d’ego qui se sont développées au sein de ceux qui l’ont dirigé, plus d’une dizaine d’années durant, le parti d’Épinay a-t-il encore quelque chose à dire ? Un fait passé inaperçu en fait douter. À Reims, ce week-end, la tribune n’était ornée d’aucun mot d’ordre. Contrairement à tous les congrès précédents : « Avec les socialistes, un projet pour la France » (Le Mans, 2005), « Avec les socialistes, donnons de la force à l’espoir » (Dijon, 2003), « S’engager pour une France plus juste » (Grenoble, 2000), « En France, en Europe, faisons vivre nos idées » (Brest, 1997), etc. En lieu et place de ces slogans de fond de scène, les congressistes avaient en face d’eux une mosaïque de mots plus ou moins gros, parfois masqués, souvent tronqués, enchevêtrés : progrès, redistribution, réformisme, respect, défendre, engagement, ensemble, décentralisation, objectifs, féminisme, droits, etc. Des « mots valises » enserrés dans un gigantesque poing à la rose qui trônait au milieu de photos et visuels relatant l’histoire du PS depuis Épinay. Et une seule inscription : « 75e congrès du parti socialiste. » Comme si le PS, incapable d’ordonner tous ses mots dans un discours audible et de se projeter dans l’avenir, ne pouvait trouver de raison d’être que dans la contemplation de son passé. C’est pourtant le devenir du principal parti de gauche dont il était question dans ce congrès.
Alors que le débat au sein du mouvement socialiste oppose les tenants d’une ligne « démocrate » de centre-gauche, adoptée par la plupart des partis sociaux-démocrates européens, qui remise la question sociale à un rang secondaire, prône l’adaptation à la mondialisation heureuse sous hégémonie américaine, la volonté de dépasser l’affrontement droite-gauche, et la fin de la forme traditionnelle du parti, aux partisans d’une ligne socialiste renouvelée, qui ne renonce pas au partage des richesses, réhabilite le rôle politique de la puissance publique et refuse le libre-échange généralisé, ce débat n’a guère été évoqué, ce week-end, à Reims. Sinon au travers d’un affrontement entre les « royalistes » et les autres sur la question de l’alliance avec le MoDem et la conception du parti. Si le rapport du PS avec François Bayrou et ses amis, bien avancés au niveau local depuis les municipales, n’a pas été définitivement tranché, en pratique le PS a subrepticement et profondément changé de nature, ce week-end.
L’issue pitoyable de Reims n’était sans doute souhaitée par aucun dirigeant du PS. Mais au moins deux d’entre eux, François Hollande et Ségolène Royal, avaient anticipé l’absence de synthèse à l’issue du congrès et trouvent plutôt des avantages à cette situation. Vendredi, avant l’ouverture des portes du Parc Expo aux congressistes, le patron du PS annonçait déjà son plan B : si les socialistes, emportés par « le démon de l’ambition personnelle » ne parvenaient pas à un accord, « le suffrage universel des militants » tranchera pour désigner un nouveau chef au PS, déclarait-il à l’AFP. Un optimisme réaffirmé vers 3 heures du matin, dimanche, après l’échec de la commission des résolutions, échec qui n’a pas semblé affecter François Hollande : « Après la désignation du Premier secrétaire par les militants, il y aura forcément une majorité au Parti socialiste. » Forcément, mais à quel prix ?
Depuis sa création en 1905, le Parti socialiste était régi par les règles d’une démocratie parlementaire fondée sur la prééminence du débat d’idées : en se prononçant sur des orientations politiques, les militants élisaient aussi à la proportionnelle une direction qui choisissait en son sein un Premier secrétaire pour les mettre en œuvre. Au congrès de Brest, en 1997, une réforme statutaire réclamée par François Hollande à Lionel Jospin pour asseoir sa légitimité avait rompu avec cette tradition. Depuis cette date, le Premier secrétaire, les secrétaires fédéraux et les secrétaires de section sont élus au suffrage direct des militants dans la semaine qui suit un congrès. Dans les faits, l’introduction de cette logique présidentialiste n’avait toutefois rien changé : disposant d’une majorité à chaque congrès, François Hollande était le seul candidat en lice, hormis en 1997, où Jean-Luc Mélenchon s’était porté candidat contre lui.
La situation créée à Reims donne toute son ampleur à cette modification statutaire, vieille de plus de dix ans. Quel que soit le Premier secrétaire désigné cette fin de semaine, la logique présidentielle l’aura emporté. C’est désormais autour d’un homme, plus vraisemblablement d’une femme, que tournera la vie du parti, reléguant au rang de souvenir la querelle entre les tenants d’un parti de militant et les « royalistes » soupçonnés de vouloir un parti de supporters.
Dans cette nouvelle donne, Ségolène Royal a une longueur d’avance sur ses adversaires. Dès le lundi 10 novembre, après un week-end de cafouillages de ses porte-parole, l’ex-candidate à la présidentielle avait repris la direction des opérations. Faisant mine d’ouvrir des négociations avec les responsables des autres motions, elle les a elle-même rendu publiques, prenant ainsi à témoin l’opinion et les militants de sa bonne volonté, afin de se poser en victime dans le cas, prévisible, d’un échec. « On n’est pas obligés de faire émerger aux forceps une majorité car, après, il y aura le vote des militants », déclare-t-elle, le 12 novembre sur TF 1, en même temps qu’elle fait part de son « envie » de prendre la tête du PS. Le lendemain, sur Mediapart, François Rebsamen, l’un de ses plus fidèles soutiens, laisse entendre qu’une absence d’accord « à l’ancienne » au congrès serait la situation la plus favorable : Ségolène Royal pourrait « amplifier le score de sa motion » en jouant les militants contre l’appareil et le « vieux parti » et, une fois élue, le prétexte serait trouvé pour en finir avec « la proportionnelle intégrale » et transformer le PS à coup de « référendums militants » . Comme Tony Blair, en son temps, avec le Labour.
Un congrès qui ne débouche sur rien peut aussi être un congrès historique.
Michel Soudais