L’héritage Bush
L’administration sortante lègue au nouveau président élu deux guerres (Irak et Afghanistan), un conflit aggravé (Proche-Orient), une crise économique planétaire, un névralgique dossier iranien, et l’hostilité du monde entier… Un dossier à lire dans notre rubrique **Monde** .
dans l’hebdo N° 1025 Acheter ce numéro
Le pire des héritages n’est peut-être pas une guerre, ni deux guerres, ni même la menace d’une troisième avec l’Iran. C’est plus sûrement une certaine vision du monde. Celle du « choc des civilisations », qui a fait haïr les États-Unis d’Amérique dans une grande partie du monde et qui sert de justification idéologique à tous les conflits. Avant toute chose, c’est cette idéologie que le nouveau président devra remiser dans les tiroirs dont les néoconservateurs l’avaient tirée après les attentats du 11 septembre 2001. C’est la fin de l’unilatéralisme ou, si l’on veut parler plus crûment, d’une Amérique-État voyou, pour retourner à George W. Bush une rhétorique qui est la sienne. Certes, l’influence des États-Unis s’étend bien au-delà des dossiers que nous rouvrons ici. Mais si l’on ne considère dans l’héritage que les guerres, les conflits et les crises dans lesquels les États-Unis sont directement impliqués, la succession est déjà très, très lourde…
Des soldats américains sur leur base militaire de Bagdad, en novembre 2006.
Furst/AFP
Une guerre : l’Irak. Lancée par George W. Bush le 18 mars 2003, sur la base d’informations falsifiées qui imputaient au régime irakien une responsabilité dans les attentats du 11 septembre 2001, et d’une manipulation visant à faire croire que Saddam Hussein possédait des « armes de destruction massive », la guerre a coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de civils irakiens, et à 4 000 soldats américains. C’est évidemment l’exemple le plus dramatique de l’héritage Bush. Barack Obama, qui était contre cette guerre dès le début, ne peut que promettre de « mettre fin au conflit de façon responsable en seize mois » . Il s’est surtout engagé à ne pas maintenir de bases en Irak. Ce qui constituerait une rupture avec la tradition américaine. Chaque intervention militaire laissant généralement une trace sous forme de « base opérationnelle », pion avancé sur l’échiquier international. Au contraire, McCain a annoncé le maintien des troupes « pendant cent ans » . Cela, sans préciser quelques points qui sont actuellement au centre du différend entre les États-Unis et la nouvelle administration irakienne. Pour celle-ci, la juridiction américaine devrait cesser de s’appliquer à la rue irakienne, comme devraient cesser les arrestations arbitraires laissées à la libre appréciation de l’armée américaine. Ce qui a peu à voir avec la souveraineté, même de façade, revendiquée par le gouvernement irakien. Lequel, en même temps, souhaite un « soutien » américain jusqu’en 2011. Sur le court terme, et dans la pratique, il n’est pas sûr que les politiques d’Obama et de McCain soient si différentes. Selon le chef de la diplomatie irakienne, Hoshyar Zebari, les deux candidats l’auraient assuré que « les axes fondamentaux de la politique américaine en Irak n’allaient pas changer… »
Une autre guerre : l’Afghanistan. Lancée par la coalition le 7 octobre 2001, cette guerre, qui n’a jamais vraiment dit son nom, visait directement Ben Laden, commanditaire des attentats du 11 Septembre, et le régime taliban qui l’abritait. Un mois plus tard, le régime taliban tombait. En 2004, la coalition installait au pouvoir le président Amid Karzaï. Mais la guerre éclair tournait en guérilla. Près de sept cents soldats membres de la Force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf) ont péri. Et il est très difficile de dire combien cette guerre a fait de victimes civiles. L’attente est donc très forte aussi en Afghanistan. En premier lieu, la population, qui perçoit de plus en plus la coalition comme une armée d’occupation, espère un accroissement de l’aide économique. Mais, en vérité, les promesses d’Obama de transférer un certain nombre de troupes d’Irak vers l’Afghanistan ne sont guère rassurantes. Surtout pas ses déclarations menaçant d’étendre le champ de l’intervention américaine au Pakistan dans sa région frontalière avec l’Afghanistan. Il est probable cependant qu’un président démocrate mettrait fin à certaines pratiques qui résultent directement de cette guerre. Ainsi, le candidat démocrate à la vice-présidence, Joe Biden, a plusieurs fois déjà demandé la fermeture de la base américaine de Guantanamo, et la comparution des terroristes présumés devant les tribunaux civils américains. Mais de négociations sur le terrain avec certains talibans, et de retrait, il n’est pas question.
Le risque d’une troisième guerre : l’Iran. Depuis qu’en janvier 2002, dans son discours sur l’état de l’Union, George W. Bush a classé l’Iran dans « l’Axe du mal », les relations n’ont cessé de se tendre avec Téhéran. Objet du différend : le nucléaire iranien. La production d’uranium enrichi laissant supposer que l’Iran poursuit comme objectif la réalisation de la bombe. Ce qui ne serait d’ailleurs pas nouveau puisque ce sont les États-Unis qui ont lancé ce processus dès les années 1960, à l’époque du shah. Mais, aujourd’hui, l’Iran d’Ahmadinejad fait peur aux Occidentaux et à Israël. La crise s’est intensifiée lorsque les États-Unis ont mis en doute des expertises de l’AIEA, l’agence chargée du contrôle du nucléaire. Et depuis, surtout, que différentes sources de presse américaine, à partir de 2005, ont fait état de projets de frappe américaine ou israélienne sur l’Iran.
Dans ce dossier, Barack Obama prône le dialogue, mais « si, et seulement si, cela peut faire avancer les intérêts américains » . Ce qui laisse au candidat beaucoup de marge de manœuvre pour se dédire ensuite. Quant à McCain, il proclame qu’il n’y a « qu’une seule chose pire qu’une action militaire, c’est un Iran nucléaire ». Ce qui laisse totalement ouverte l’hypothèse d’une intervention directe. Mais celle-ci n’est guère envisageable dans l’immédiat, étant donné le calendrier politique qui comprend aussi l’élection présidentielle en Iran, en juin prochain…
La crise des subprimes. C’est la pratique financière américaine, conséquence directe de l’idéologie ultralibérale au pouvoir depuis les années Reagan, qui est à l’origine de cette crise financière, économique et sociale mondiale. Face à laquelle le programme d’Obama, plus redistributif, devrait théoriquement être plus favorable au travail dans la répartition travail-capital, qui a été transformée depuis 1980. Il promet notamment de baisser les impôts de 95 % des salariés et de ponctionner les revenus dépassant les 250 000 dollars annuels. Il promet une réduction fiscale annuelle de 500 dollars par salarié et de 1 000 dollars par famille. Il dit vouloir porter l’impôt sur les revenus du capital de 15 à 28 % et taxer les bénéfices exceptionnels engrangés par les compagnies pétrolières. Et il entend débloquer 50 milliards de dollars pour des grands travaux d’infrastructure. Petit, tout petit New Deal !