Président à vie…

Le Parlement algérien vient de supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels. Inquiétant.

Alain Lormon  • 20 novembre 2008 abonné·es

Le régime algérien vient de laisser paraître une part de sa vérité. Cette vérité niée par la France ­officielle et par certains de nos intellectuels : l’Algérie est loin d’être une démocratie. Depuis le 12 novembre, on peut même dire qu’elle s’en est éloignée encore un peu plus. Le président Abdelaziz Bouteflika, 71 ans, vient en effet d’obtenir du Parlement la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Tout autant que le contenu de cette révision constitutionnelle, c’est la façon dont elle a été ­acquise qui est édifiante. Le projet a en effet été adopté à main levée par 500 voix pour, 21 contre et 8 abstentions. Les trois partis de l’Alliance au pouvoir, le Front de libération nationale (FLN), le Rassemblement national démocratique (RND, libéral) et le Mouvement de la société pour la paix (islamique), se sont prononcés pour le projet. Le président Bouteflika, élu en 1999, et réélu en 2004, pourra ainsi briguer un troisième mandat à l’élection d’avril prochain.

Cette disposition s’accompagne d’une autre mesure destinée à renforcer le pouvoir du Président : le projet prévoit la suppression de la fonction de chef du gouvernement au profit d’un poste de Premier ministre. Le Président, « chef suprême de toutes les forces armées de la République », devient aussi le seul maître de l’orientation politique. Jusqu’ici, en effet, le chef du gouvernement élaborait officiellement le programme. Avec emphase, Abdelaziz Bouteflika a salué « le patriotisme et le sens de la responsabilité des représentants du peuple ». En réalité, ce pouvoir renforcé, s’il profite au Président, profite plus encore à l’immuable groupe de généraux irascibles dont le Président est en quelque sorte le porte-­parole, sinon l’otage. Depuis 1991, et l’interruption d’un processus électoral qui devait donner une majorité aux islamistes du Front islamique du salut, le pouvoir des généraux n’a fait que se renforcer, continuant d’accaparer les fruits de la rente pétrolière. Pendant ce temps-là, l’Algérie réelle est à ­l’agonie. La population, très jeune (65 % ont moins de 30 ans), connaît un taux de chômage record de près de 20 %, et un niveau de pauvreté à peu près équivalent. Une situation encore aggravée par les conditions drastiques imposées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qui ont brutalement précipité le pays dans une économie libérale. La suppression des aides a eu notamment pour effet la flambée des prix de première nécessité.

Dans cette situation, et face à un système politique entièrement bloqué, dans lequel toute opposition est muselée (seul le Rassemblement pour la culture et la démocratie a osé rejeter la révision constitutionnelle), un sentiment travaille la société algérienne en profondeur : le désespoir. Il conduit le plus souvent les jeunes à rêver de départ. Il fait aussi le lit d’une nouvelle génération d’islamistes, plus radicaux encore que ceux des années 1990, de plus en plus en influents au sein d’une jeunesse sans horizon. Tout se met de nouveau en place pour une fausse opposition entre le régime des généraux incarné par Bouteflika et les islamistes. Les premiers constituant largement le terreau des seconds. Une opposition qui permet au gouvernement français de soutenir les généraux au nom de la ­résistance aux islamistes. Cela par une sorte de renversement cynique du lien de cause à effet.

Monde
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