Président de la télévision française

Le projet de loi sur la réforme de l’audiovisuel public est débattu à l’Assemblée ce 25 novembre. Suivant les volontés de Nicolas Sarkozy, il impose à France Télévisions une mainmise politique et une fragilité financière.

Jean-Claude Renard  • 20 novembre 2008 abonné·es

Récapitulons. Le 8 janvier dernier, de son propre chef (le mot est faible), Nicolas Sarkozy annonce une réforme de la télé publique et une suppression des ressources publicitaires au motif qu’elles sont de nature à pervertir la programmation. France Télévisions vivrait une dérive commerciale altérant des programmes ambitieux, culturels, nuisant à la diversité et à la formation de l’opinion. Branle-bas de combat et tumulte à France Télévisions et dans les rangs ministériels intéressés, qui découvrent en même temps cette brusque décision. Une révolution (sire !), véritable serpent de mer, longtemps avancée et soutenue par la gauche.

Illustration - Président de la télévision française


Nicolas Sarkozy nommera lui-même le PDG de France Télévisions. Un cas unique en Europe.
Euler/AFP

Dans la foulée, Nicolas Sarkozy nomme Jean-François Copé président d’une commission censée réfléchir et proposer une méthode. La réflexion est de taille financière : supprimer la pub, c’est amputer France Télévisions de 650 millions d’euros. Une situation dramatique quand l’on sait que son budget ric-rac est déjà très inférieur à ses homologues allemand et anglais.
En juin, la Commission Copé rend son rapport, retouché aussi sec par Sarkozy. Toujours pourvu de bonnes intentions pour sortir de la dictature de l’audimat, pour mieux informer, cultiver, distraire, montrer que « l’audience doit être une ambition et non une obsession » . Des lignes où se distinguent les notions de « pluralisme » et de « transparence » , des idées de « financement » et de « gouvernance » (comme on gouverne des sujets). De fait, le service public va reposer sur un nouveau fonctionnement du conseil d’administration : deux représentants de l’État, deux autres du personnel et huit personnalités « issues du monde de l’entreprise », désignées par le gouvernement (tant qu’à faire les choses…). Et cerise sur le gâteau : Sarkozy nommera lui-même le PDG. Un cas unique en Europe.
Sur le terrain, France Télévisions, constituée de dix-huit entités, doit se muer en un « média global » pour affronter la concurrence. Sans suppression d’emplois, promet-on. France 3 se réorganise en sept régions au lieu des treize actuelles, avec un jeu de décrochages entre le national et les régions. La fin de la pub est décidée pour le 1er janvier prochain, entre 20 h et 6 h, totalement en janvier 2012. 450 millions d’euros de trou dans un premier temps, 650 millions dans un second temps. Pour compenser, sa seigneurie impose une taxe de 0,9 % sur le chiffre d’affaires de la téléphonie mobile et des fournisseurs d’accès à Internet (ce qui rapporterait 378 millions d’euro). Et 3 % sur les ressources accrues des chaînes privées (apport estimé : 80 millions d’euro).
Les premiers taxés ont annoncé une augmentation de leurs tarifs et le recours devant les autorités européennes (Bruxelles s’oppose à cette taxe dans un secteur à forte croissance). Pour les chaînes privées, on peut conclure ainsi : plus elles auront d’audience, donc de pubs, plus elles verseront d’argent au service public, directement dépendant de la bonne santé de ses concurrents. En somme, sur le financement, il n’existe encore aucune garantie, quand il aurait surtout fallu des ressources pérennes. C’est-à-dire augmenter la redevance, au moins à hauteur de ce qui se pratique en Angleterre ou en Allemagne (respectivement 195 euros et 204 euros, contre 116 en France), plutôt qu’une simple indexation sur l’inflation.
Dans le même temps (effet d’aubaine !), les chaînes privées voient leur vœu exaucé : un zeste de dérégulation. Elles vont passer de 6 à 9 minutes de pub par heure, et à une seconde coupure durant les fictions. Toujours à propos de pub, rien n’est pensé sur le financement des programmes du service public (une heure par jour, tout de même) qui vont devoir remplacer les réclames. Le montant est estimé à 400 millions. Si l’on y ajoute les 650 millions envolés dès 2011, cela fait beaucoup et reste loin du fragile compte des rentrées dues aux nouvelles taxes. Sarkozy aime la télévision. Il le dit. Qui trop embrasse… air connu.
Dans la fragilité des ressources compensatoires, comme pour toute logique comptable, il faudra nécessairement réduire les charges. Ça ne traîne pas. Patrick de Carolis vient d’annoncer le départ de 900 salariés de son groupe d’ici à 2012. Soit près de 10 % des effectifs. Départ sur la base du volontariat, dit-on, et en fonction des annuités. Juste quelques semaines après que Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, a jugé « nécessaire qu’il y ait un certain nombre de gens qui partent » , le même affirmant dans le Point « qu’après la réforme il y aura trop d’argent à France Télévisions ! » Sans rire.
Un « plan social qui ne dit pas son nom », estiment les syndicats. Carolis se reconnaît « contraint à de sérieuses économies » , d’autant que Bercy exige un retour à l’équilibre en 2010 (100 millions de déficit prévu fin 2008). Dégraisser, donc, avant, pourquoi pas, de se séparer d’une partie du service public pour un ballet de privatisations. En attendant, dans les rédactions, et notamment à France 3, on se prépare au pire (et le pire arrive toujours). Sur le coup de la retraite forcée ou avancée, on peut songer : aux plus endurcis de partir. Aux plus jeunes et malléables de rester, foin des petits contrats à durée déterminée. Autre conséquence sourde, la suspension des productions de documentaires.

Le 21 octobre, le Conseil des ministres a entériné ce projet de réforme qui s’avère une formidable entreprise de déstabilisation du service public. Le 25 novembre, le projet de loi arrive donc à l’Assemblée avec ce pêle-mêle de décisions autocratiques, d’incertitudes et d’hypothèses financières. Avec un cahier des charges de 29 pages. ­À ­l’image de l’annonce surprise en janvier, à ­l’image du rapport de la Commission Copé, il se présente gorgé de bonnes intentions. « Intéresser sans ennuyer. Distraire et amuser sans jamais être vulgaire ou complaisant. Informer. Accueillir le débat, l’organiser […]. Donner aux programmes le temps de s’installer. » Avec plus de diversité, et surtout plus de culture, à tire-larigot (qui donnerait à certains l’envie de sortir leur revolver).
Culture, et séance tenante ! Chaque jour en première partie de soirée, une programmation de « spectacles vivants, d’émissions musicales, de documentaires, d’adaptations littéraires » . Des émissions « exclusivement littéraires » « à des heures de large audience » , des « émissions culturelles attirant le plus grand nombre » . S’y colle « l’ensemble des programmes, y compris les journaux » . Le téléspectateur n’aura jamais été aussi cultivé. S’ajoute au florilège de mesures « l’obligation de rendre compte de l’actualité musicale, de promouvoir les nouveaux talents, de donner une place majoritaire à la chanson d’expression française » , tandis que « le théâtre fait l’objet de retransmissions régulières en direct ».

La jeunesse n’est pas épargnée puisque France Télévisions doit participer « à son éveil et accompagner [les jeunes téléspectateurs] dans leur développement. Elle cherche à développer chez [eux] la conscience des droits et des responsabilités dans le cadre de leur vie quotidienne » . Idem pour les cases consacrées à ­ « l’éducation au développement durable » . D’une rubrique à ­l’autre, le téléspectateur a droit à la voix de son maître à travers la vaste vitrine que représente France Télévisions. Le cahier des ­charges impose même les « programmes de soirée vers 20 h 35 » et une « deuxième partie de soirée entre 22 h et 22 h 30 ».
Dans ce qui ressemble à un cahier de devoirs, il faut bien donner des (bons) points. Qu’à cela ne tienne. France Télévisions a une « obligation annuelle de diffusion en utilisant une méthode spécifique » : un minimum de 100 points. Une méthode courageusement affichée en note de bas de page. Une première partie de soirée, un dimanche après-midi, avec une émission culturelle ou musicale, ou un spectacle, c’est 3 points. Après 22 h 45, c’est 2 points. Pour le reste, c’est 1 point. Il faudra bien alors définir ce qui relève de la culture (au reste, il n’est jamais question de photographie ni d’art). Où placer le pêle-mêle de Laurent Ruquier ou de Christophe Hondelatte ? Le cirque de Patrick Sébastien ? Michel Drucker faisant la part belle à Carla Bruni-Sarkozy ? 3 points ? Faut bien parvenir à 100 par an. On ne peut guère mieux infantiliser le service public. Et cette infantilisation, à tous les niveaux, est l’un des traits de caractère forts de la réforme. Le Parti socialiste, Jean-Marc Ayrault en tête, promet une batterie ­d’amendements à l’Assemblée. Qu’en sera-t-il réellement ? Les syndicats, redoutant pertes d’emplois et remise en cause des conventions collectives, ont appelé à une manifestation devant le Palais-Bourbon ce 25 novembre.
Il n’empêche, c’est calé, carré comme il faut pour le doigt sur la couture. Horaires, programmes. Reste à Nicolas Sarkozy et au gouvernement à écrire les synopsis, définir champ et hors champ. Ce sera mieux encore que la télé de papa. C’est déjà demain. Dare-dare la réforme et en dépit du bon sens. Or, cette réforme nécessaire, avec ou sans publicité, exigeant une refonte totale du service public, méritait le temps des concertations, d’éviter les précipitations. De l’annonce au changement, à peine une année s’est écoulée. Balle peau pour la réflexion.

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