Croissance verte : Le mirage économique

Miser sur les industries propres pour résoudre les crises écologiques et économiques : les illusions de la « croissance verte » ont volé en éclats avec la récession, comme l’a montré le sommet de Poznan sur le climat. Un dossier à lire dans notre rubrique **Ecologie** .

Patrick Piro  • 18 décembre 2008 abonné·es
Croissance verte : Le mirage économique

« L’Union européenne est en route pour un “New Deal vert”, fermement sur la voie d’une économie durable à faible intensité carbone », a salué Stavros Dimas, commissaire européen chargé de l’Environnement, vendredi dernier à Poznan (Pologne), alors que ­s’achevait le sommet annuel des Nations unies sur le climat. Un optimisme tout diplomatique.

Illustration - Croissance verte : Le mirage économique


Le bonus-malus a déplacé 43 % des ventes de voitures vers des modèles moins émetteurs de CO2, mais le ministre du Budget s’est ému du coût de la mesure : 200 millions d’euros. Lma/AFP

Versant clair : l’Union s’engage à porter à 20 % la part des renouvelables dans sa consommation d’énergie d’ici à 2020. Le consensus a été acquis sans heurts : derrière l’objectif, se profilent des taux de croissance à deux chiffres et des dizaines de milliers d’emplois, comme en Allemagne ou en Espagne, qui connaissent une formidable pénétration des énergies éolienne et solaire. C’est la fameuse « croissance verte », aubaine sur laquelle misent désormais la plupart des gouvernements du Nord pour tirer leurs économies de l’ornière.
Versant sombre : l’Union, qui s’affiche à la pointe du combat contre le dérèglement climatique, a aussi accordé d’indécentes concessions à ses industries très ­polluantes, incapable d’endiguer les égoïsmes nationaux. « Une honte » , affirment les Amis de la terre, Greenpeace, Réseau action climat et le WWF dans un communiqué commun.

Toutes les études montrent qu’en l’absence d’un effort radical et prioritaire pour diminuer les consommations d’énergie, même le plus volontariste des programmes en faveur des renouvelables ne remplira qu’une petite part du défi : d’ici à 2050, diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre mondiales, et même par quatre dans les pays du Nord.

Oui mais voilà, réduire les consommations, ça ne fait pas miroiter de la « croissance verte » ! Depuis des mois, le ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, ne jure que par elle ; une « révolution » pariant sur l’innovation technologique, qui rendrait compatibles les défis écologiques avec la prospérité économique retrouvée. Il attend 500 000 emplois du Grenelle de l’environnement, qualifie de « nouveau concept de keynésianisme vert » le saupoudrage des interventions de l’État – du timide bonus-malus auto au développement des énergies renouvelables. Quant à la récession, elle mettra « la croissance verte au cœur du redémarrage économique [^2] ».

À peine énoncée, la prophétie s’est dissoute avec le plan de relance de Nicolas Sarkozy, une injection de 26 milliards d’euros qui méprise très largement les engagements écologiques du gouvernement (voir p. 6), comme c’est le cas de la plupart des gigantesques opérations de sauvetage lancées dans le monde.
« Maintenant que nous devons nous serrer la ceinture, il faut supprimer le luxe environnemental » , expliquait à Poznan le président tchèque Vaclav Klaus pour justifier la défense de l’industrie charbonnière. Des propos caricaturaux, tenus par un anti-écologiste notoire, mais qui traduisent finalement assez bien les priorités de gouvernements submergés par l’urgence.
Et puis ce néo-keynésianisme vert repose sur des financements très volontaristes. Par exemple, le développement des énergies renouvelables dépend essentiellement de capitaux privés. Depuis que la récession a repoussé le baril de pétrole au-dessous de 70 dollars, certains programmes éoliens, qui pâtissent déjà d’une moindre rentabilité, marquent le pas. Un autre type de pari sous-tend le financement de l’isolation thermique des bâtiments, chantier prioritaire : il tiendrait sur des prêts bancaires que rembourseraient les futures économies d’énergies de chauffage, mais qui dépendent de spéculations sur le prix de l’énergie.
Le cas de l’automobile est l’un des faux nez les plus voyants de cette croissance verte fétichisée, qui renvoie la résolution de la crise climatique au rang de sous-produit. Première intervention gouvernementale marquante : le bonus-malus automobile, qui a « déplacé » en quelques mois 43 % des ventes de voitures neuves vers des modèles moins émetteurs de CO2. Mais, bien vite, le ministre du Budget, Éric Woerth, s’est ému du coût de la mesure pour l’État – 200 millions d’euros.
Critique des écologistes également : pour bénéficier du bonus, il suffit que la voiture émette moins de 130 grammes de CO2 au kilomètre. Performance très moyenne : il ne fallait pas trop défavoriser l’industrie automobile française, concurrencée par des modèles étrangers moins polluants. Elle a d’ailleurs perdu 3 % du marché national à la faveur du bonus-malus ! Il n’est bien sûr jamais question de s’attaquer à l’inflation irrépressible des kilométrages parcourus par les voitures, mais de les convertir à ­l’électricité, thème de recherche auquel d’importants subsides ont été octroyés par Nicolas Sarkozy. ­L’économiste Nicolas Baverez, qui en est plutôt proche, crache le morceau [^3] : « L’EPR [le nouveau réacteur nucléaire] et la voiture électrique sont les deux mamelles du développement durable. »
Vérification du recadrage imposé à une croissance verte sommée d’être économiquement correcte : l’espoir mis par le gouvernement dans l’isolation thermique massive des bâtiments tient beaucoup au fait que les bénéfices attendus, en termes d’emplois et de chiffres d’affaires, ne sont guère délocalisables – les travaux seront effectués sur des maisons qui ne bougeront pas du territoire français. Au fond, de Poznan à Paris, de Washington à Londres en passant par Berlin, la lutte contre le dérèglement climatique n’attise l’intérêt des gouvernements que si elle sert la compétitivité des entreprises nationales. La croissance verte, selon Borloo, doit relancer l’économie française face à une concurrence internationale où l’Inde, la Chine et le Brésil jouent des coudes pour gagner le peloton de tête.
Sous les coups de boutoir de la crise écologique et désormais de la récession, ce qui s’élude en permanence, c’est une interrogation fondamentale : l’économie libérale, fondée sur la croissance et la concurrence, peut-elle mener à bien le défi planétaire d’enrayer le dérèglement climatique ?

[^2]: Les Échos, 1er décembre 2008.

[^3]: Le Point, 27 novembre 2008.

Écologie
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