La grande Varda

Avec « les Plages d’Agnès », la cinéaste de 80 ans revient sur sa vie, plus jeune et libre que jamais. Un film enchanteur aux allures de fantaisie parfois mélancolique et souvent drolatique.

Christophe Kantcheff  • 18 décembre 2008
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C’est quoi, une vieille dame ? À la fin de son nouveau film, l es Plages d’Agnès, les amis d’Agnès Varda lui fêtent son anniversaire, apportant en guise de cadeau des balais. En tout, 80 balais, en incluant les quatre petits et adorables balais de chiottes qu’Agnès Varda a installés dans un pot de fleur, et celui qu’on lui a envoyé par Internet. Varda, une vieille dame ? Ce petit bout de femme n’a que 80 ans. Autant dire une gamine, une gamine espiègle, originale et tendre, qui a déjà un long passé, en particulier de cinéma. Tel est le sujet des Plages d’Agnès , autobiographie filmée, autoportrait par cinéVarda interposé, un film « à reculons » qui remonte le temps, et, comme souvent dans ce film, la cinéaste prolonge le mot par le geste et se filme marchant à contresens. « Faire le clown me convient et m’a permis de prendre du recul » , dit-elle a posteriori.

Illustration - La grande Varda

Aux antipodes de la nostalgie sépia, les Plages d’Agnès r essemble à un collier de perles d’images ramassées sur les plages qui ont jalonné la vie de la cinéaste, qui y retourne pour l’occasion : celles de Sète, de Californie, de Noirmoutier… De son enfance sétoise à son travail de photographe au TNP de Jean Vilar, de son premier film, la Pointe courte (1955, montage Alain Resnais), à ses années de vie commune avec Jacques Demy, en passant par son militantisme féministe ou sa dernière expo à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (2006), la grande Varda multiplie les couleurs, les sons, les impressions, les anecdotes. Ne s’appesantit jamais, dévale la pente de ses souvenirs avec un sourire attendri, parfois franchement triste, plus souvent amusé, mais jamais narcissique. Agnès Varda est indécrottablement documentariste. L’intéressent avant tout : les autres. Elle avoue qu’elle ne savait pas si elle aimerait faire ce film sur elle. Même quand sa caméra la filme, Agnès Varda agit comme un miroir où proches, amis, pairs ou collaborateurs viennent se refléter. Pas étonnant que la cinéaste commence son film en installant quelques miroirs sur une plage du Nord (elle est née à Bruxelles). Le dispositif lui ressemble. Il diffracte la réalité en plusieurs représentations, et interroge, mine de rien, le statut de l’image montrée – directe ? Indirecte ? Les Plages d’Agnès est un film d’une liberté incroyable. Pas de quant à soi, pas de « ça ne se fait pas » – ainsi, Agnès Varda tourne une scène où elle pleure à chaudes larmes devant la caméra ses chers disparus qu’elle a photographiés jadis, Seyrig, Gérard Philipe, Noiret, qui joua son premier rôle dans la Pointe courte, mais aussi Sabine Mamou, la monteuse de Jacques Demy qui fut l’actrice d’un de ses films, d’autres encore, et bien sûr le réalisateur des Parapluies de Cherbourg… Elle préfère les correspondances et les résonances au respect des frontières et des allées bien taillées. Pour dire sa vérité, elle mêle images documentaires, archives, rêveries et images de fiction, celles de ses films, Cléo de 5 à 7, L’une chante l’autre pas, Murs murs, Sans toit ni loi, les Glaneurs et la glaneuse…

Les Plages d’Agnès est un objet à part, une fantaisie mélancolique aux allures de collage surréaliste. Ici, la cinéaste reconstitue la silhouette d’une baleine à l’intérieur de laquelle elle repose sur un lit d’étoffes aux couleurs chaudes, pour dire que, jeune fille, les hommes l’impressionnaient et qu’elle avait tendance à vouloir rester à l’abri de leur pouvoir de séduction. Là, elle fait sortir de leur tableau les Amoureux de Magritte, qui, tout en gardant leur drap sur le visage, deviennent un couple de chair et de sang, aux attributs sexuels prêts à s’exprimer… Il y a une poésie Varda, qui a les mêmes sonorités que les Gymnopédies de Satie, ou les mêmes lignes que les mobiles de Calder, ténues, cocasses et précises. Pour parler de sa vie à Paris, et de sa maison de production, Ciné-Tamaris, qu’elle a créée en même temps qu’elle devenait cinéaste, elle a fait déverser des monceaux de sable dans « sa » rue, la rue Daguerre (où elle a déjà tourné une chronique, Daguerréotypes ), créant ainsi « son » Paris-plage. Toute l’équipe de Ciné-Tamaris, entièrement féminine, y est en légère tenue d’été et y réinvente une activité ordinaire de bureau. Agnès V. ou la fée du cinéma. Bien sûr, il y a aussi de la gravité. On est particulièrement ému d’entendre Agnès Varda parler de la maladie qui a tué Jacques Demy : non pas un cancer, contrairement à ce que la cinéaste, très « gardienne du temple » en l’occurrence, a longtemps prétendu, mais le sida. Et c’est avec une douceur infinie qu’elle évoque le tournage de Jacquot de Nantes, film d’Agnès sur la jeunesse de Jacques, dont la fin alors était imminente, chacun le savait, lui le premier. Les Plages d’Agnès est un cadeau. Un cadeau de jeunesse. Un enchantement qui dispense la culture du bonheur. Et puisqu’il n’y a aucune raison de ne pas vous le dire, Melle Varda : nous vous aimons pour ça !

crédit : Ciné-Tamaris
Culture
Temps de lecture : 5 minutes
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