Presque Presley

Dans « Saint Elvis », de Serge Valletti, Olivier Werner campe avec brio un homme qui se prend pour le King.

Gilles Costaz  • 11 décembre 2008 abonné·es

La Comédie de Valence, que dirige Christophe Perton, s’est formée sur place un large public, fait venir sans snobisme les plus grands étrangers (Warlikowski ou les metteurs en scène de la Schaubühne de Berlin) et laboure la Drôme-Ardèche avec des œuvres contemporaines présentées dans les villages. Il est bien normal qu’elle vienne à présent à Paris pour un cycle au Théâtre de l’Est parisien.
Dans la salle dont Catherine Anne tient les rênes, elle s’installe en changeant un peu les règles : elle coupe le plateau en deux pour donner deux spectacles différents à des heures différentes. Et Perton ne s’est pas attribué toutes les mises en scène. Lui-même présente une pièce de Lars Norén, Marc Lainé monte un texte de Mike Kenny, Pauline Sales reprend sa pièce conçue après un voyage en Israël et en Palestine, Olivier Werner se charge de deux auteurs français : Serge Valletti et Marie NDiaye.

Saint Elvis, de Valletti, a ouvert le feu, dans une mise en scène plus rock que Presley lui-même. Rock dans sa vitesse et dans son vertige, plus que dans sa musique, les ressources du théâtre comptant plus que la bande-son. La pièce est la confession d’un jeune homme qui se prend pour le King. Il est entouré de sa mère, qui n’a pas plus les pieds sur terre que lui, et d’un ami qui joue les impresarios. L’homme monologue, les autres aussi. Lui s’autocélèbre, mais il aperçoit un autre homme (invisible, celui-là), qui pourrait être un double supplémentaire, ou bien Elvis lui-même. Il débobine ses pensées jusqu’à épuisement.

Olivier Werner s’est emparé de la mise en scène et du rôle principal avec une furieuse santé. En blouson bariolé et dans un pantalon blanc collant aux cuisses, l’Elvis de Werner occupe une cour d’immeuble ou une cave aux affiches décollées : c’est un pauvre type qui devient grand dans son royaume. Mais, dans sa folie, il se perd, se trouve et s’effondre. L’interprétation est nerveuse à souhait mais d’autant plus belle que l’acteur, parti plein gaz, ralentit et conduit la machine d’un esprit en désordre. Werner bourre de douleur et d’humanité cette douce démence. Ses partenaires, Claire Semet et Anthony Poupard, parviennent eux aussi à être réels et rêvés, vrais et stéréotypés. La pièce avance dans une incohérence maîtrisée mais jamais mise en épisodes. Elle accumule, entasse des états d’âme. Depuis sa création en 1990 par Daniel Martin, elle dormait dans les bibliothèques parce qu’elle est un ovni difficile à mettre en orbite. Christophe Perton l’a relue et l’a confiée à Olivier Werner, qui lui a donné une pleine vérité. On a rarement aussi bien pénétré dans le psychisme des sosies volontaires que dans ce Saint Elvis à l’allégresse désespérée.

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