Quand le don rapporte
Sous des apparences « sociales », le mécénat d’entreprise sert surtout l’image du donateur, et légitime le capitalisme. Ou comment même la générosité devient un business.
dans l’hebdo N° 1032-1033 Acheter ce numéro
Qu’ont en commun Danone et l’entrepreneuriat social ? Total et la biodiversité sur le littoral breton ? Pas grand-chose. Si ce n’est que la firme pétrolière responsable du naufrage de l’ Erika finance, via sa fondation, des programmes de recherche sur la réhabilitation des écosystèmes. Et que le groupe de produits laitiers qui procédait en 2001 à des licenciements massifs dans ses usines LU – bénéficiaires – vient de lancer en partenariat avec HEC une chaire de recherche sur le thème « Social business/Entreprise et pauvreté »…
Autant d’actions de mécénat d’entreprise qui montrent à quel point le mariage entre monde marchand et préoccupations sociales peut être incongru. Plus fondamentalement, l’idée même du don n’a, en théorie, rien à faire dans la sphère marchande. Il ne pourrait en être autrement puisque, par nature, l’entreprise cherche à faire du profit alors que la générosité consiste à se déposséder de ses richesses. Et tandis que l’économie de marché n’est guidée que par l’intérêt et la rentabilité, c’est le désintérêt qui conduit au don.
L’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial) est pourtant formelle : la pratique du mécénat d’entreprises est en « progression spectaculaire » en France. 30 000 entreprises – grands groupes ou PME – ont fait œuvre de charité en 2008. Culture, humanitaire, environnement, recherche… Tous ces secteurs ont été les heureux bénéficiaires de dons financiers, en nature, ou sous la forme du mécénat de compétence. Un curieux phénomène. À moins de considérer ce paradoxe : le don « rapporte ».
Le premier, et le plus évident « retour sur don », c’est la valorisation de l’image de l’entreprise. Une stratégie de marketing basique qui permet d’associer junk-food et protection de l’enfance, l’une des causes défendues par la fondation Ronald McDonald. Ou de rappeler que le géant du BTP Vinci a participé à la grandeur culturelle de la France en restaurant gracieusement la Galerie des glaces du château de Versailles. L’« investissement » mécénal est également très productif quand il s’inscrit dans les stratégies de management déployées par les entreprises pour susciter l’adhésion en interne. Il donne du sens au monde de la gestion et stimule le sentiment de reconnaissance de cadres méritants qui se verront, par exemple, offrir quelques places à l’Opéra. De façon plus prosaïque, Microsoft détient encore une collection composée d’œuvres d’art très « tactiles », utilisées pour revitaliser ses travailleurs rivés devant leur ordinateur.
De toute évidence, la générosité n’est admise dans l’entreprise que si elle est utile à l’entreprise. Une évidence pourtant inavouable, puisque la loi sur le mécénat de 2003 mentionne que des réductions fiscales (très avantageuses) ne peuvent être accordées aux entreprises mécènes que s’il existe « une disproportion marquée » entre le don et la contrepartie. Un flou législatif qui ne saurait mieux révéler l’ambivalence de la démarche…
« Gagner » en humanité, se créer un « capital » sympathie auprès des clients et des salariés, se « racheter » une vertu… « Investissez dans l’intelligence ! » , clame le slogan de la campagne de levée de fonds que la toute nouvelle fondation de l’université de Lyon vient de lancer. Le mélange des genres est inhérent à la pratique mécénale. Car, sous ses apparences charitables et dispendieuses, le mécénat n’est qu’un mode parmi d’autres d’accumulation du capital. Une manière d’échanger de l’argent contre des capitaux d’autre nature (sociale, culturelle, morale, etc.), qui rendent l’entreprise attractive, remarquable, séduisante. Bref, qui lui donnent une valeur symbolique, elle-même reconvertie in fine en valeur monétaire.
Derrière sa prétendue et indiscutable participation au Bien commun, l’entreprise ne roule donc en réalité que pour elle-même. Elle récupère un système de valeurs – qui lui sont a priori étrangères – dans le but de légitimer aux yeux du monde la maximisation du profit. Et de susciter l’adhésion à la reproduction du système capitaliste.