Avant les chars, les mots !

Avant le massacre de Gaza, la population israélienne a été gavée de propagande. L’opinion française, à un moindre degré, aussi.

Denis Sieffert  • 8 janvier 2009 abonné·es
Avant les chars, les mots !
© N. B. Dans ces circonstances, il faut croire aux journalistes plutôt qu’aux journaux. Michel Bole-Richard, qui accomplit dans le Monde un travail remarquable. Claire Servajean, qui, sur France Inter, a donné longuement la parole, le 1er janvier à 13 h, à l’admirable Stéphane Hessel, qui a pu rétablir quelques vérités essentielles.

L’offensive contre Gaza a recueilli le soutien de 95 % des Juifs israéliens, selon un sondage paru le 1er janvier dans le quotidien Maariv. Un autre sondage, paru la veille dans Haaretz , faisait état de 71 % d’approbation, mais en tenant compte de 20 % d’Arabes israéliens hostiles à l’opération. Sans ce soutien massif, le massacre des Palestiniens de Gaza aurait sans doute été politiquement difficile. Car c’est au nom du « droit à l’autodéfense » que la presse israélienne, quasi unanime, approuve l’offensive. Dans le récit officiel, il s’agit de faire cesser les tirs de roquettes par le Hamas, coupable d’avoir rompu la trêve conclue en juin.
Cette thèse, qui ne tient même pas chronologiquement, traverse tout l’échiquier politique israélien. Ainsi, l’écrivain David Grossman, homme « de gauche », en appelait le 30 décembre dans Haaretz à « une trêve de 48 heures » , mais en légitimant l’argumentaire du « droit à l’autodéfense » : « Nous ne devrions en aucune façon, écrivait-il, frapper [les Palestiniens] aussi violemment même si le Hamas, depuis des années, a rendu misérable à l’extrême la vie des gens du sud d’Israël » [^2]. Le propos est en fait lourd de menace : si au bout de 48 heures le Hamas n’a pas rendu les armes, alors le « pacifiste » David Grossman ne répond plus de rien. Le même double langage se retrouve dans le parti de gauche Meretz, qui, après avoir appelé à une offensive contre Gaza pour faire stopper les tirs de roquettes, a ensuite appelé à un cessez-le-feu.

Illustration - Avant les chars, les mots !

Un journaliste filme une maison de Sderot touchée par une roquette tirée depuis la bande de Gaza. Platt/Getty Images/AFP

La propagande israélienne n’est pas sans effets sur la presse française. Laissons ici le Figaro , qui adhère totalement au vocabulaire américano-israélien définissant le Hamas comme « organisation terroriste » , et qui prédit le « retour » des « kamikazes » pour justifier par avance le massacre de Gaza. Et attardons-nous sur un article de Libération qui trahit bien tout l’embarras de la presse française. Sous le titre « Qui a commencé ? », on a pu lire ceci : « Le Hamas a pris la décision, le 18 décembre, de ne pas renouveler la tahdiyeh (période de calme) de six mois conclue avec Israël. Cette rupture a rapidement été suivie par le tir de dizaines de roquettes et d’obus de mortiers, provoquant l’attaque israélienne de samedi. » Jusque-là, les choses sont claires. Mais malheur au lecteur qui n’aura pas été plus avant dans sa lecture, car voici la suite : « En fait, cette trêve, plutôt bien suivie pendant quatre mois et demi, n’était plus vraiment respectée depuis le raid israélien du 4 novembre qui avait tué six membres du Hamas. Cet acte de violence avait entraîné une réaction en chaîne : riposte à coups de roquettes du mouvement islamiste et renforcement du blocus israélien […], qui a encore aggravé la situation humanitaire déjà très critique dans l’enclave palestinienne. »

Le même article nous apprend ensuite, citant Haaretz , que le raid du 4 novembre a servi à préparer l’actuelle offensive militaire, dont les préparatifs avaient commencé six mois plus tôt. Autrement dit, l’opération actuelle n’a rien à voir avec la rupture d’une trêve qui, de surcroît, est le fait d’Israël, ni avec les roquettes qui deviennent un prétexte. Mais qu’importe ! Ce qui reste, c’est « l’agression du Hamas ». Ce qui est suggéré, c’est la « légitime défense » israélienne. C’est ce qui reste dans les informations répétées heure après heure sur les radios. Parfois grossièrement, comme ce présentateur du journal de 8 heures sur France Inter, qui affirme tout de go, le 5 janvier : « Si Israël s’est lancé dans cette vaste opération, c’est, rappelons-le, en réponse aux incessants tirs de roquettes par le Hamas depuis le territoire palestinien. » Ou comme Yvan Levaï, qui, au détour de sa revue de presse, samedi matin, également sur France Inter, louait « la patience » d’Israël. A-t-il songé à la « patience » des Palestiniens privés de tout et réduits au chômage par l’asphyxie économique savamment orchestrée par Israël depuis deux ans ? L’occultation totale du blocus comme acte de violence est d’ailleurs l’une des constantes de la propagande.
Mais revenons sur le mot « patience », tout droit sorti du vocabulaire colonial. Il nous renvoie à l’analyse fort pertinente de Tom Seguev, qui nous donne – également dans Haaretz – les clés de la propagande israélienne. Selon l’historien israélien, les motivations d’Israël sont toujours les mêmes. Il s’agit de « donner une leçon aux Palestiniens » . Selon son niveau de culture et de prudence sémantique, on dira « une leçon au Hamas », ou « aux Palestiniens », ou « aux Arabes-qui-ne-comprennent-que-le-langage-de-la-violence », comme on l’entend fréquemment répéter en Israël par l’homme de la rue. « C’est un leitmotiv qui a accompagné l’entreprise sioniste depuis ses débuts, écrit Tom Seguev, nous sommes les représentants du progrès et des Lumières […], tandis que les Arabes sont une foule primitive et violente, des enfants ignorants qu’il faut éduquer… » Nous sommes là en effet au fond de la propagande coloniale classique. Classique, trop classique.

[^2]: Article reproduit dans Libération du 31 décembre.

Monde
Temps de lecture : 5 minutes

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