C’est moi qui l’ai fait !

Crise économique et écologique oblige, le « fait maison » a le vent en poupe. Un mode de vie à contre-courant de la société de consommation, et des actions qui visent à rendre les plus pauvres autonomes. Reportage.

Emmanuelle Mayer  • 8 janvier 2009 abonné·es
C’est moi qui l’ai fait !

« Nous venons de terminer notre toiture : si nous avions eu les moyens, nous l’aurions probablement fait faire, mais je suis ravie d’avoir appris et drôlement fière. C’est un savoir-faire précieux. Si on subissait une tempête, on ne serait pas dépendants d’un professionnel. J’essaie d’être la plus autonome possible. Cela me permet de reprendre du pouvoir sur ma vie. » Institutrice à mi-temps, Alice a choisi de ne pas perdre sa vie à la gagner et le raconte sur le blog qu’elle tient avec son amie Laurence [^2].
Alice adore cuisinier, son compagnon a retapé leur maison en Bretagne, ils ont des toilettes sèches, font leur compost, un potager, et la jeune femme a décidé de se mettre au tricot pour les pulls. Cette démarche d’autonomie n’est pas venue du jour au lendemain. Plus intello que bricolo, Alice a longtemps pensé « achat » pour chaque besoin de la vie quotidienne. Comme elle l’explique dans les conférences qu’elle anime, « la simplicité volontaire implique un profond changement de pensée. Par exemple, mon fils voulait une grue. Immédiatement, j’avais entendu qu’il voulait que je lui achète une grue. En réalité, non. Je lui en ai fabriqué une, avec laquelle il a très longtemps joué. Même chose pour la peinture bio : c’est cher alors que c’est facile à fabriquer ».

Illustration - C’est moi qui l’ai fait !

Bricoler en famille pour améliorer son habitat : un loisir gratifiant et économique.
Savoir faire et découvertes

Dans ce même esprit d’écologie, l’association Savoir-faire et découvertes propose des stages [^3] pour s’initier à différentes techniques : construction d’un four à pain, fabrication d’une éolienne, enduits à la chaux, tournage de poterie, meubles en carton, jouets en bois, vêtements en feutre, pommades à base de plantes… Tout s’apprend, avec des professionnels qui vivent de leur art et souhaitent le transmettre. « J’en avais assez du bla-bla, je voulais proposer des solutions concrètes pour avancer dans l’écologie, et toucher d’autres personnes qu’un public convaincu » , explique Arnaud Trollé, créateur de l’association. Parmi les stagiaires, on trouve des personnes engagées dans un projet de vie écologique mais aussi des gens qui souhaitent tester un métier en vue d’une reconversion professionnelle, ou des familles qui trouvent là un loisir original.
Si ces stages attirent un public varié, c’est que cette envie de faire soi-même s’est propagée au-delà des cercles militants pour devenir une vraie tendance de société, comme le montre la vogue des loisirs créatifs. Réinventer ses habits ou rénover sa maison n’est plus un symbole de manque d’argent mais l’expression de sa créativité. Les enseignes de bricolage ne désemplissent pas, et les ventes de machines qui permettent de tout faire comme des pros explosent. Faire son pain, ses yaourts, sa bière, c’est à la mode, mais aussi économique et simplissime. Selon le sociologue Gérard Mermet, « on tend à rapatrier à l’intérieur des activités autrefois réservées à l’extérieur. Avec famille et amis, on recrée une petite société domestique rassurante, tellement équipée qu’on pourrait presque y vivre en autarcie. Quand c’est dur dehors, il faut que ce soit doux dedans » . Attention toutefois aux sirènes du marketing : faire soi-même n’est possible qu’à condition de dégager du temps… Ce qui signifie moins d’argent, donc des besoins réduits.

Pour autant, ce ne sont pas les plus modestes qui se tournent vers l’autoproduction. « Ceux qui subissent les plus fortes difficultés sociales et financières sont ceux qui ont le moins de savoir-faire, y compris domestiques, constate Daniel Cérézuelle, sociologue et responsable scientifique du Programme autoproduction et développement social ^4 (Pades). Certaines personnes vivant dans des taudis sont relogées. Mais, faute de connaissances de base sur l’entretien, le nouveau logement se dégrade à nouveau. Un exemple : ces familles qui calfeutrent l’appartement comme ils peuvent pour réduire les factures puis achètent un poêle à pétrole. Cela crée une humidité terrible, un air malsain, et détériore le bâti. »
Forte de ce constat, l’association promeut une action sociale basée sur l’apprentissage de l’autonomie. Des services d’accompagnement à l’autoréhabilitation ont ainsi été créés au Havre et à Bordeaux ; des associations comme le Secours catholique organisent des ateliers cuisine pour apprendre à se nourrir correctement, et des jardins de développement social ont été mis en place dans des quartiers.
Mais le Pades a encore du pain sur la planche. La plupart des acteurs sociaux restent dans une optique de prise en charge de l’individu et sont réticents aux méthodes d’autonomisation. Apprendre à faire soi-même permet pourtant de redonner confiance et d’aider les personnes à se reconstruire. Mais quel modèle économique façonne peu à peu ce retour à l’autonomie ? Déjà, la vogue des machines à pain inquiète la filière boulangère. Vaste chantier d’études pour les chercheurs d’utopies.

[^2]: cherryplum.canalblog.com. Elles ont aussi écrit l’Art du désencombrement, qui sortira en mars (Jouvence).

[^3]: . Stages entre 1 et 8 jours, de 30 à 250 euros.

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