Courrier des lecteurs Politis 1036
dans l’hebdo N° 1036 Acheter ce numéro
La lecture de l’édito et du bloc-notes dans le n° 1034 m’a rasséréné. La vache n’a pas mangé tout l’esprit critique de Politis. […]
Didier Lemaire
Villiers-sur-Loir
La survie à Gaza
Le témoignage suivant, de Dania Amro, vivant à Gaza, nous a été transmis par une lectrice, Françoise Salles. Dania faisait partie d’une troupe de 15 jeunes d’Al-Qarara venus en Gironde en 1999. Elle était leur interprète.
On est toujours vivants, après plus d’une semaine de stress et d’horreur, pendant les bombardements continus sur Gaza. Autour de notre maison, plus de 15 missiles de F16 sont tombés. Vous imaginez la suite : des fenêtres brisées, la maison et le sol qui tremblent, les enfants terrorisés ; on n’osait même pas aller aux toilettes […]. Dès que les opérations des forces terrestres ont commencé, le 6 janvier, il y a eu des incursions au quartier Atatra et Salatine, à 500 mètres de chez nous. C’était l’enfer. Toute la nuit, on a entendu des explosions, très fort. On aurait dit qu’ils étaient juste devant la porte, on voyait de la fumée partout. […]
Le pire, c’est que dès le premier jour on n’avait pas d’électricité et, bien sûr, pas d’eau. Même les citernes sur le toit ont été percées par les éclats d’obus. Le seul moyen d’info qu’on avait était le téléphone et la radio, où on entendait les histoires de massacres et des nouvelles sur des amis et des proches qui avaient été massacrés. Des familles entières ont été massacrées. Le frère d’un voisin était à la mosquée, quand on a bombardé celle-ci ; ses deux autres frères sont partis pour essayer de le trouver quand ils ont reçu un deuxième missile sur la tête. Les trois frères sont devenus des morceaux de viande […]. On parle rarement de cadavres mais plutôt des morceaux de corps, à peine on reconnaît les morts.
Après deux nuits d’enfer, on a décidé de sortir mes beaux-parents. Ils refusaient de sortir, mais on les a forcés car on était en danger. Les chars bombardaient sans avoir de cibles précises […]. On a donc pris le risque de sortir avec un drapeau blanc : mon mari, mes deux enfants, mes beaux-parents et moi. Mon sac était déjà prêt. […] Dans les médias, on a parlé d’une trêve quotidienne de 13 h à 16 h pour des raisons humanitaires, mais ce n’étaient que des mensonges. Deux femmes de mon quartier sont sorties chercher des provisions pour leurs enfants. Elles ont été tuées.
On a été hébergés par la sœur de mon mari au centre de Gaza. Mais d’autres n’avaient pas où aller. Dans les rues, des milliers de familles qui se sont sauvées de leurs maisons… Une nouvelle génération de réfugiés. […]
La Croix-Rouge nous a informés d’une trêve entre 7 h et 11 h pour que les femmes retournent chercher le reste de leurs affaires et les corps qui sont restés, parce qu’on empêche les ambulances de passer dans cette zone devenue militaire. Dans le quartier Al Atatra, la Croix-Rouge a découvert 4 enfants à côté de leur mère morte depuis sept jours, et qui mouraient de faim. On les a sauvés à la dernière minute. […]
Je ne peux vous résumer ces deux semaines en quelques lignes car j’ai quitté ma maison et suis dans un appartement où il y a plus de 30 personnes réfugiées ! Tous les gens qui habitent les banlieues est, nord, sud et ouest se sont déplacés vers le centre en se disant qu’ils y seraient plus en sécurité. En fait, personne n’est en sécurité, aucun Palestinien à Gaza.
On nous dit que l’objectif de cette guerre est d’exterminer les membres du Hamas. Ce n’est qu’un autre prétexte comme les précédents pour exterminer et terroriser le peuple palestinien. Déjà, plus de 900 morts « civils », dont 275 enfants, 97 femmes, des « mamans », 15 ambulanciers et 5 journalistes en deux semaines.
Le message est clair : on fait payer au peuple sa liberté d’expression, parce qu’il a voté pour le Hamas. Comme ça, ils pensent que les gens vont détester le Hamas, on n’arrête pas de nous transmettre des messages et de franchir les ondes des chaînes locales pour nous dire : « Tout ce que vous subissez, c’est à cause du Hamas, qui vous a trahis et n’a pas pris la responsabilité de vous protéger. »
J’ai toujours été contre le Hamas, je n’aime pas les islamistes extrémistes, mais je ne suis pas imbécile pour croire à ces mensonges ! Même avant le Hamas on nous bombardait, on nous insultait. On nous emprisonnait à l’intérieur de Gaza, et devant le monde, ils disent : « Nous nous sommes retirés de Gaza, et les Palestiniens ont leur liberté. De quoi se plaignent-ils ? » Cela fait deux ans qu’on souffre du blocus qui nous étrangle. Je rêve du droit de voyager et de me déplacer comme toute autre personne dans le monde, d’avoir un pays national libre.
Les lanceurs de roquettes sont un autre prétexte pour convaincre le monde que les Israéliens sont victimes et qu’ils ont le droit de se protéger […]. Ils ripostent avec toutes sortes d’armes militaires, même celles qui sont interdites internationalement, comme les bombes phosphoriques. La plupart des Israéliens transportés dans leurs hôpitaux ne le sont pas pour des « blessures » mais pour état de panique, et on les compte comme des victimes ! Alors qu’un million et demi de Palestiniens sont terrifiés et que les hôpitaux de Gaza n’ont même pas les moyens de faire des interventions chirurgicales pour les vrais blessés.
Le conflit palestinien, avec la complicité des gouverneurs arabes, était aussi une couverture pour ces attaques, et ils s’en sont bien servis.
Je doute qu’après tout cela Gaza ait une vie normale. On est sous le choc, je doute qu’on puisse s’en remettre, et qu’après cette guerre, si elle se termine, je puisse avoir une maison. Je prie Dieu que mes enfants restent vivants et que, si on meurt, on meure tous ensemble, je ne veux pas vivre pour voir mes enfants massacrés sous mes yeux.
Merci à tous nos amis de nous avoir envoyé des messages pour nous soutenir. J’apprécie les manifestations qu’on fait partout dans le monde, les aides qu’on reçoit, les actes de solidarité. Mais je suis tellement désespérée, en même temps convaincue qu’Israël est bien protégé et qu’il ne va pas cesser le feu tant que n’auront pas abouti tous ses objectifs imaginaires, parce qu’en fait ce sont des civils qui sont ciblés. La décision de la fin de ces opérations va venir des autorités israéliennes, mais pas de la pression de la communauté internationale.
À part cela, on a à manger, mais c’est le dernier de nos soucis. Israël fait entrer les provisions nécessaires pour prouver qu’il est humanitaire.
Il y a des grands problèmes pour la distribution des aides à cause de l’absence d’autorités spécialisées ; il n’y a que l’UNRWA et la Croix-Rouge, qui exercent leur rôle dans des conditions très difficiles.
Les gens n’ont pas perdu l’esprit de solidarité, mais […] chacun a sa propre triste histoire, et moi-même je suis en état de choc. À peine ai-je eu la force de vous écrire…
Dania et Mohamed
Tourisme solidaire et entreprise
J’ai lu le dossier sur le tourisme solidaire et vous écris aujourd’hui en tant que syndicaliste (CFDT).
À propos des comités d’entreprise […], vous écrivez : « Chaque salarié soucieux de l’impact social de ses vacances est en droit d’en appeler à la responsabilité de ses représentants… » J’ai, pour ma part, plutôt l’expérience de salariés qui préfèrent les vacances balnéaires pas chères et lointaines, hors saison, au voyage solidaire et équitable. Cette réalité du salarié moralement exigeant existe, mais il ne faudrait pas faire passer le message que les représentants sont des affreux irresponsables alors que « la base » est pure et généreuse.
Je travaille à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et j’ai été secrétaire de son CE […], lequel a mis en place une charte éthique que l’on faisait signer aux prestataires de vacances et de voyages. […] Cela n’a pas été si facile car, en fait, la plupart des élus(e)s, même chez nous (CFDT), pensaient que c’était inutile parce qu’ « on n’a pas les moyens de vérifier ». […]
À Noël 2007, un voyage au Bénin « très solidaire » a été organisé avec TDS […] ; en octobre 2008, un voyage au Guatemala, plutôt « équitable » que solidaire, a été organisé avec Arvel […] ; en mars 2009, un voyage au Népal également avec Arvel va avoir lieu […]. Pour 2010, l’idée est de travailler en amont avec un organisme « très solidaire » et de construire avec lui un voyage. En effet, pour le Guatemala et le Népal, nous avions choisi la destination avant de faire un appel d’offres auprès de trois organismes pouvant faire ce type de voyage particulier, mais les toutes petites structures n’arrivent pas à répondre assez vite et complètement à notre cahier des charges, ce qui les élimine de fait.
Cela pour vous dire qu’il n’y a pas qu’EDF, France Télécom et les hôpitaux pour faire ce genre de démarche, mais que ce n’est pas facile.
Nous avons engagé un autre « combat » : la réduction des émissions de CO2 dues aux activités du CE. […] Mais l’argument « de toute façon l’avion vole, que l’on soit ou non dedans » est fréquemment entendu. Quant à l’idée d’au moins « compenser le CO2 émis » […], même forfaitairement sur l’année, elle est pour le moment combattue par : « C’est une idée de bobo », « il vaut mieux réduire le CO2 à la base »… […]
Marie-Catherine Poirier
Attention à ne pas tomber dans le panneau de la relance !
Dans sa sixième leçon sur la crise (Politis n° 1034), notre excellent collègue Christophe Ramaux qualifie d’indigentes les thèses sur la décroissance, au motif que c’est la croissance et non son contraire qui crée l’emploi. Ainsi les « décroissants » seraient, à le suivre, de sombres crétins incapables de comprendre ce qu’un élève de sixième peut entendre : qu’il ne peut y avoir de production de marchandises sans travail, qu’en augmentant cette production (la croissance, en d’autres termes) on augmente le travail, et que ce recours à un travail accru peut se traduire par plus d’emplois.
Ce que ne semble pas comprendre notre collègue, c’est que, pour les tenants de la décroissance, la question n’est ni de travailler ni de produire plus, elle est à la fois de réduire le travail pour donner un peu d’air à notre planète et de mieux le répartir pour assurer à chacun des conditions décentes d’existence.
Il est vrai qu’avec la crise et le développement du chômage, le chant des sirènes de la relance de la croissance pour l’emploi n’a pas fini de se faire entendre. Et le risque est grand, pour nos experts économistes de gauche, élevés dans nos universités au sein de la théorie libérale, de s’y laisser prendre.
Comment ne pas tomber dans le panneau ? Un conseil : à chaque fois que votre analyse vous conduit à des conclusions rejoignant celles du Medef (et s’il en est une, c’est bien celle de relancer la croissance pour défendre l’emploi !), surtout n’en déduisez pas que le Medef peut parfois avoir raison, considérez plutôt la possibilité d’une faille dans votre raisonnement et reprenez votre analyse.
Sans cette simple discipline, on peut craindre qu’à leur insu nombre d’économistes pourtant convaincus d’être vraiment de gauche deviennent au double sens du terme de vrais « Blaireaux ».
Roland de Penanros, économiste