Face à l’inhumanitaire
Les ONG de solidarité internationale rencontrent d’immenses difficultés pour secourir la population de Gaza. Les initiatives politiques parviendront-elles à prendre le relais ?
dans l’hebdo N° 1035 Acheter ce numéro
« Nous arrivons. » L’annonce du mouvement Free Gaza est claire. Elle s’accompagne d’une lettre au gouvernement israélien. Y est détaillé l’itinéraire du septième bateau, The Spirit of Humanity , comprenant médecins, journalistes, politiques, militants des droits de l’homme : des eaux internationales à celles de la bande de Gaza, sans jamais s’approcher du territoire maritime hébreu. La précision importe ; la même n’avait pourtant pas empêché l’armée israélienne d’éperonner, à l’aube du 30 décembre et dans les eaux internationales, l e Dignity et ses seize passagers.
Certes, ce « Free Gaza Boat » relève de la goutte d’eau. Mais significative : déjouer le blocus, plus ou moins officiel, qui entoure la bande. Toutes les organisations sont pourtant sur le pont. L’UNRWA a lancé un appel spécial aux dons, MSF a mis en place un relais spécifique pour les recevoir. « La réunion des donateurs a promis près de deux millions d’euros , explique Marie Rajablat, responsable de la mission Gaza à Médecins du monde. C’est très bien de donner de l’argent. Mais l’urgence est que ça cesse. » Les États-Unis et l’Union européenne, principaux financeurs de l’UNRWA, préfèrent s’acheter une conscience à coups de millions de dollars, et que « ça » continue : l’UE entend renforcer sa coopération avec Israël, tandis que les États-Unis se sont abstenus de voter la molle résolution 1860.
Entrer dans la bande de Gaza relève de l’exploit. Des équipes de MDM, MSF, Help Doctors attendent déjà à Erez (Israël) et à Rafah (Égypte), d’autres vont s’y ajouter. « Il ne suffit pas de passer Erez, encore faut-il que nos collègues puissent venir nous chercher, ajoute Marie Rajablat. Ce qui est la plupart du temps impossible. » Aux crossings , des camions attendent par centaines. « Là encore, les stocks peuvent être emmagasinés, mais pas forcément acheminés dans les hôpitaux. »
Une fois sur place, agir tient de la mission impossible. L’UNRWA lui-même a un temps suspendu son activité, après la mort de deux convoyeurs. Il l’a repris depuis, assuré par le ministère de la Défense israélien que ces « incidents […] étaient profondément regrettés et ne reflétaient pas la politique officielle du gouvernement. » Il suffit pour s’en convaincre de parcourir le rapport mensuel du Croissant-Rouge palestinien listant les « incidents », et bien avant l’opération « Plomb durci »…
Les ONG refusent que leurs membres prennent des risques inconsidérés. Des 19 Palestiniens de MDM, seul le chirurgien exerce, de son propre chef, à l’hôpital de Khan Younès, le plus important avec celui de Shifah à Gaza City.
Même son de cloche chez MSF : face à l’impossibilité de maintenir les cliniques ouvertes et aux patients d’y accéder, « nous avons inversé la tendance et muni notre staff de kits médicaux » , témoigne la coordinatrice à Gaza, Jessica Pourraz. Les vingt-trois « médicaux » peuvent ainsi agir dans leurs quartiers.
Quid de la fameuse trêve des trois heures ? Un mythe, un faux débat, s’énervent les humanitaires. « Cette interruption ne ressemble à rien. La bande a de nouveau été coupée en trois zones étanches, explique Marie Rajablat. Avant tout mouvement, nous devons demander l’autorisation à l’armée. Le temps qu’elle arrive, qu’on tente de passer d’une zone à l’autre, et les trois heures sont déjà écoulées. » Et pour cause. Le personnel médical doit s’adresser au Comité de coordination civile, qui à son tour contacte le Bureau de coordination humanitaire de l’armée, qui porte la requête au commandement de la campagne militaire… « Selon l’enquête menée par Physicians for Human Rights-Israel, une demande de coordination prend en moyenne de deux à dix heures, et souvent aucune réponse de l’armée n’est reçue. » Il a fallu quatre jours au Comité international de la Croix-Rouge pour pouvoir entrer dans le quartier de Zeitoun, et découvrir des dizaines de survivants blessés et épuisés, dont quatre enfants près des cadavres de leur mère. « Des soldats israéliens occupant un poste militaire à 80 mètres de cette maison ont ordonné à l’équipe de secours de quitter la zone, ce qu’elle a refusé de faire. »
C’est sur cette situation insupportable que neuf associations israéliennes ont requis l’avis de la Cour suprême. D’autres initiatives émergent : manifestations, courtes entrées de députés européens, « Palestinothon », pétitions… L’Union juive française pour la paix en a lancé une, « Pas de crimes en notre nom », tandis qu’une autre, internationale, demande un « cessez-le-feu total » . À signer sur le site d’Avaaz, elle entend recueillir 500 000 signatures avant d’être publiée dans le Washington Post et soumise à l’ONU. Pour que son Conseil de sécurité cesse de valider des résolutions « se félicit[ant] des initiatives visant à créer et ouvrir des couloirs humanitaires, et autres mécanismes permettant un acheminement ininterrompu de l’aide humanitaire » . L’esprit de l’humanité est bien mal barré.