La fac en cours de révolte
Université. Opposés à deux projets de décrets, les enseignants-chercheurs et personnels universitaires
entament une mobilisation unitaire inédite qui pourrait déboucher sur des mouvements de grève massifs.
dans l’hebdo N° 1037 Acheter ce numéro
La clé pour sortir de la crise ? La recherche et l’innovation, d’après Nicolas Sarkozy, qui recevait, le 22 janvier à l’Élysée, chercheurs, présidents d’université et chefs d’entreprise pour lancer une « stratégie nationale » pour les quatre ans à venir. Au même moment, une première coordination nationale des universités se tenait au Centre Saint-Charles de l’université Paris-I pour protester contre les réformes en cours. En tête : deux projets de décrets réformant le statut des enseignants-chercheurs et les concours de recrutement. En arrière-plan : les premiers ravages de la loi LRU sur l’autonomie des universités. Entre les deux, des inquiétudes grandissantes concernant le démantèlement du CNRS et de l’Inserm, la précarisation de l’emploi des jeunes chercheurs et des personnels universitaires, des menaces sur l’indépendance de la recherche et la formation des enseignants, des systèmes d’évaluation absurdes, et le pouvoir démesuré des présidents d’université.
Manifestation devant le ministère de la Recherche le 18 septembre 2008. Kovarik/AFP
« Les forces du conservatisme et de l’immobilisme l’ont toujours emporté. Il faut que cela cesse ! » , lançait le Président à l’Élysée. Cependant qu’à Paris-I les universitaires, remontés à bloc, se félicitaient de voir la mobilisation s’amplifier.
« Quarante-six universités… » , clamait Pascale, de la coordination, en reprenant dans l’amphithéâtre d’arts plastiques du Centre Saint-Charles, plein à craquer, des listes bouclées tard dans la nuit. Puis des associations comme Sauvons l’Université, Sauvons la recherche, Défense de l’Université ou le collectif Papera, ainsi que des sociétés savantes et des organisations syndicales comme la CGT, FO, SUD, le Snesup, l’Unsa… Chacun a pu intervenir avant de voter, à la quasi-unanimité, le retrait du projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs et de la réforme des concours. Sans quoi, « l’université française se mettra en grève totale, reconductible et illimitée » , prévenait une première motion publiée le soir même. Date retenue : le 2 février. Pour aller plus loin, les universitaires ont lancé un « appel immédiat à la rétention des notes, la non-transmission des maquettes de formation des enseignants du premier et du second cycle et le soutien aux mouvements de grève qui ont déjà commencé […] ».
« Ce qui crée le malaise, écrivait à Nicolas Sarkozy la Conférence des présidents d’université (CPU) le 9 janvier, est la conception même de la modulation des services […], qui revient en fait à alourdir le temps d’enseignement de ceux que le Conseil national des universités aura jugé moins performants en recherche. »
« Les enseignants-chercheurs n’ont rien à redouter de cette réforme […]. C’est la récompense de leur performance » , ripostait le prince. « Soit on résiste maintenant, soit on meurt demain ! » , rétorquait pourtant, à Paris-I, Jean-Louis Fournel, de Sauvons l’Université, en fustigeant le mépris affiché par Valérie Pécresse. « Il faut voir sa tête quand on pose des questions précises, a renchéri un jeune chercheur du collectif Papera, en invitant à poursuivre l’exercice sur son site. Je représente votre futur ! » , a-t-il insisté en évoquant tous ceux qui, comme lui, enchaînent contrats précaires et tâches non rémunérées dans les laboratoires. Des conditions qui s’étendent aujourd’hui aux statutaires.
« La recherche n’est-elle qu’une question de postes et de moyens ? » , a lancé Nicolas Sarkozy en soumettant des rallonges à deux conditions : que « les réformes prospèrent » et que « l’évaluation se développe ». Une nouvelle attaque masquée car les enseignants-chercheurs contestent déjà, via des boycotts, non le principe de l’évaluation mais les critères selon lesquels ils sont évalués. « Il y aura poursuite du mouvement de réforme de la recherche » , a néanmoins conclu le président de la République, tandis que la coordination invitait à rejoindre la mobilisation du 29 et l’Appel des appels. La fracture s’aggrave.