La recherche sous observation
A Belém (Brésil), les altermondialistes inaugurent un nouveau forum « Sciences et
démocratie ». Partout, des citoyens interpellent les chercheurs, notamment sur les problèmes environnementaux.
dans l’hebdo N° 1036 Acheter ce numéro
Jean-Pierre Havard se bat depuis quinze ans pour faire reconnaître le drame des Amérindiens wayana du sud de la Guyane. Cette forêt est sous la loi de l’orpaillage illégal, qui rejette des tonnes de mercure dans la nature. Très persistant, ce métal lourd contamine toute la chaîne alimentaire aquatique pour s’accumuler in fine dans la chair des Wayana, qui se nourrissent de la rivière.
Jean-Pierre Havard prélève des cheveux sur un enfant du village de Cayodé pour faire analyser leur teneur en mercure. Corinne Raux
L’association Solidarité Guyane, fondée par Jean-Pierre Havard, fait analyser des cheveux depuis 2004 : la teneur en mercure dans les villages dépasse fréquemment le plafond défini par l’Organisation mondiale de la santé en raison des risques cérébraux, notamment chez les enfants. « Nous avons contribué à relancer des études officielles » , juge-t-il. En 2005, les autorités locales lancent une étude qui confirme les mesures de l’association. « Mais elle conclut à l’absence de problème sanitaire ! Nous savons qu’il n’en est rien, de nombreux enfants qui n’ont pas été déclarés par leur mère ont échappé à cette étude ponctuelle, menée sur des personnes tirées au sort. » Solidarité Guyane, implantée depuis quinze ans, suit les familles les plus exposées et diffuse une vidéo de prévention : en limitant la consommation des poissons les plus contaminés, on peut diviser par deux le taux de mercure en un an.
Le sérieux de l’association est désormais reconnu par les chercheurs. « Au début, notre discours engagé les rebutait, se souvient Jean-Pierre Havard. Mais, aujourd’hui, nous collaborons avec des laboratoires en France et au Japon, qui utilisent nos données. » Mais de manière non officielle. Et les chercheurs publient en anglais.
Au Canada et au Groënland, les Inuits ont fini par se lasser de ces pratiques. Depuis une décennie, ils imposent un « permis » aux scientifiques, et entendent collaborer à la définition des recherches. « Ils veulent des travaux exploitables et dans leur langue » , témoigne Michèle Therrien, spécialiste de la langue et de la culture inuits à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Bien-être physique et psychique, chamanisme, loi coutumière, éducation des enfants, etc., c’est avec la participation des communautés qu’elle définit ses recherches, mais aussi la méthode de collecte des informations : « l’oralité est centrale chez eux ».
Un peu partout, des laboratoires ouvrent leurs portes sous la pression de la société : ce sont les associations de malades du sida qui imposent un bouleversement à la recherche médicale dans les années 1980 à San Francisco, c’est la création, après Tchernobyl, de la Criirad, laboratoire indépendant de mesure des radiations, etc.
Santé, environnement, technologies nouvelles, patrimoine… « La science a toujours été une institution d’autorité, où des maîtres s’adressent à des élèves. Mais le savoir autoproclamé, ça ne marche plus ! » , constate l’historien Dominique Pestre. Coordinateur d’un programme « sciences et sociétés » à l’Agence nationale de la recherche, il préconise des partenariats entre laboratoires et associations. « La prise en compte du point de vue des usagers dans la recherche fait désormais l’objet d’une ligne budgétaire à la Commission européenne » , souligne aussi Elie Faroult, responsable de la prospective à Direction générale de la recherche.
Lancés en 2005 à l’initiative d’un élu Vert, les Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation (Picri) de la Région Île-de-France sont pionniers. Isabelle Goldringer, généticienne à l’Inra, y développe un projet de sélection de variétés paysannes de blé pour un pain bio de qualité. Entièrement défini en partenariat avec le Réseau semences paysannes. « Il y a cinq ans, mon milieu me renvoyait à l’exigence “d’excellence scientifique” quand je préconisais de travailler avec les agriculteurs pour l’innovation variétale… Aujourd’hui, ça bouge enfin ! »