« L’idéologie du choc des civilisations a fait des ravages en Israël »

Chef de file
des pacifistes israéliens, Michel Warschawski* analyse ici
les causes du consensus en faveur
de l’offensive contre Gaza dans l’opinion.

Denis Sieffert  • 15 janvier 2009 abonné·es
« L’idéologie du choc des civilisations a fait des ravages en Israël »
© * Président du Centre d’informations alternatives (AIC).

Lire aussi : Encore combien de morts ? et Face à l’inhumanitaire

Vu de France, on a l’impression qu’Israël est un pays au garde-à-vous. Est-ce que le débat commence à s’ouvrir ?

Michel Warschawski : Ce n’est que depuis jeudi 8 janvier que l’on a l’impression que le débat s’ouvre. Jusqu’ici, le consensus était massif. On parlait de 85 % de la population juive qui soutenaient l’offensive contre Gaza. Mais les choses ont commencé à changer à ce moment-là pour deux raisons : la première, c’est que ­l’opinion publique internationale bouge. Et cela a toujours été un facteur important, notamment pour cette gauche très soucieuse de son image et qui n’aime pas se voir dans le miroir en train de soutenir une opération condamnée partout dans le monde. Cette gauche commence toujours par soutenir les opérations militaires avant de prendre ses distances quand celles-ci produisent des images de centaines de victimes civiles. Le second facteur, c’est que cette opération commence à avoir un prix en termes de victimes israéliennes.

Illustration - « L’idéologie du choc des civilisations a fait des ravages en Israël »

ABED/AFP

La mobilisation de la vraie gauche, celle à laquelle vous appartenez, est visible par l’opinion publique israélienne ?

Oui, la mobilisation de la vraie gauche, opposée à l’occupation, celle qui n’est pas rentrée dans le consensus, a été visible, même dans les grands médias. Le premier samedi (27 décembre), il y avait 1 000 à 1 500 manifestants à Tel-Aviv. Des rassemblements sont permanents, mais le point d’orgue a été samedi 3 janvier à Tel-Aviv, où il y avait entre 6 000 et 8 000 personnes. Ce qu’il y avait d’encourageant, c’est que ce n’était pas seulement ma génération, celle de la première guerre du Liban et de la première Intifada. Beaucoup de ­jeunes étaient là, très en colère.

La presse écrite paraît quasiment unanime, et hurle avec les loups…

Plus encore que pendant la seconde guerre du Liban, en août 2006, la presse d’information s’est totalement alignée sur le discours gouvernemental. Haaretz met ­certes en garde contre des bavures, mais sur le fond il soutient l’argumentaire officiel et les opérations militaires. Seule exception, Gideon Levy (l’un des éditorialistes de Haaretz , ndlr), qui a su faire dès le premier jour la critique de ses confrères.
Ce consensus est fortifié par le fait qu’il ­s’agit du Hamas et non de l’OLP. Mais, il faut le répéter, cette guerre n’est pas faite au Hamas, mais à Gaza. C’est Gaza qui a été déclaré par Israël « entité hostile » . S’attaquer au Hamas, c’est s’attaquer au Hamas qui est en chaque Gazaoui.

Et la télévision ?

À la télévision israélienne, on ne voit rien. En permanence, on nous parle de guerre et de stratégie, on nous montre des convois, on entend des généraux et des colonels. Mais pas d’images de victimes. Le résultat de cette censure, c’est que nous sommes branchés sur la chaîne qatarie Al-Jazira, qui, elle, nous montre l’horreur de la situation.

Quel rôle jouent ceux que l’on appelle les « intellectuels » ?

Les intellectuels sont pareils à eux-mêmes. David Grossman, Amos Oz, Abraham Yéhoshua, qui occupent la scène médiatique, ne sont pas des grands intellectuels, ce sont de grands romanciers. Mais aussi des écrivains-soldats au service du pouvoir. Ils commencent toujours par soutenir toutes les guerres pour prendre leur distance quand l’opinion se retourne. Puis, ils nous disent en pleurnichant : « Regardez ce que, eux, les Palestiniens, nous obligent à leur faire. »


On a parlé assez vite de divergences au sein du gouvernement israélien. Qu’en est-il ?

C’est à la fois lié au climat préélectoral et à la situation de transition aux États-Unis. On ne sait pas très bien ce que les Américains attendent de nous. Or, c’est déterminant en Israël. Devant cette incertitude, il y a des lectures différentes à propos de la limite à ne pas dépasser. Ehud Olmert (Premier ministre démissionnaire) a très peur du « massacre de trop » ; ce moment où ce qui semblait être une victoire bascule dans l’opinion et se transforme en défaite. On se souvient du carnage de Cana, au Liban, en 1996, et évidemment de Sabra et Chatila, en 1982. C’est le grand débat entre Olmert, d’une part, et Ehud Barak et Tzipi Livni, d’autre part. Le plus va-t-en guerre étant le ministre de la Défense travailliste, Barak.

Pour en arriver à une telle insensibilité au spectacle de victimes civiles, il a fallu une propagande intense et très ancienne…

Il ne faut pas sous-estimer le poids de ­l’idéologie du « choc des civilisations », qui a fait des ravages. Plus qu’aux États-Unis, et beaucoup plus qu’en Europe, cette image d’un monde où des nouveaux barbares menacent le monde judéo-chrétien l’a emporté. Le Hamas, le Hezbollah et Al-Qaïda, tout cela se mélange dans cette idéologie, les terroristes, les musulmans, et les Arabes… Tzipi Livni l’a dit au cours de son voyage à Paris : « Nous nous battons pour vous. » C’est sur cette idéologie que repose pour l’essentiel le consensus.

Monde
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