Pour les nuls…

Bernard Langlois  • 15 janvier 2009 abonné·es

Le texte ci-dessous circule sur la Toile, reproduit sur plusieurs sites (dont au moins un au Québec), qui m’en attribuent la paternité. L’aurais-je écrit que je ne le renierais point ; mais voilà, je ne l’ai pas écrit ! Je l’ai publié (cela m’arrive parfois de faire ce genre d’emprunt, sur divers sujets) dans mon bloc-notes du 24 juillet 2006 ( Politis n° 911), alors que Gaza, déjà, subissait les bombardements d’Israël pour la punir de « l’enlèvement » [^2] du soldat Shalit.

J’avais trouvé à l’époque cette satire ( « le Proche-Orient pour les nuls » ) bien propre à rendre compte du parti pris de la presse occidentale, en particulier française, pour traiter des événements dans cette région du monde – où se joue aussi sa paix, au monde : ceci pour répondre à certaines objections du genre : vous faites bien du foin sur la Palestine, alors qu’en Afrique ou ailleurs on massacre sur bien plus grande échelle, ce qui n’est pas faux ; mais aussi terribles soient-elles, les violences et atrocités diverses et variées qui zèbrent la planète restent circonscrites et n’ont pas ce terrible poids symbolique qui donne au conflit judéo-arabe sa dimension potentiellement apocalyptique, c’est du moins mon opinion –, parti pris que nous dénoncions la semaine dernière, preuve que rien n’a changé ni sur le terrain (la ratonnade contre un peuple déjà exténué par le blocus), ni le traitement qu’en donne la presse en général (à d’heureuses exceptions près). Je l’avais donc retranscrit, non sans – bien sûr : j’ai le plagiat en horreur et un profond mépris pour les plagiaires –, indiquer ma source, le site du CAPJO (Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient).

Alors, avant de relire ces « onze règles du journalisme » toujours d’actualité plus de deux ans après leur première parution, et éventuellement de les reproduire par tous moyens et supports à votre gré, merci de bien en noter l’origine, et de corriger le cas échéant sur vos sites les erreurs qui me les attribuent : http://www.europalestine.com/
spip.php?article2228.

ONZE RÈGLES

« Voici, en exclusivité, ces règles que tout le monde doit avoir à l’esprit lorsqu’il regarde le JT le soir, ou quand il lit son journal le matin. Tout deviendra simple :

– Règle numéro 1 : Au Proche-Orient, ce sont toujours les Arabes qui attaquent les premiers et c’est toujours Israël qui se défend. Cela s’appelle des représailles.

– Règle numéro 2 : Les Arabes, Palestiniens ou Libanais n’ont pas le droit de tuer des civils de l’autre camp. Cela s’appelle du terrorisme.
– Règle numéro 3 : Israël a le droit de tuer les civils arabes. Cela s’appelle de la légitime défense.

– Règle numéro 4 : Quand Israël tue trop de civils, les puissances occidentales l’appellent à la retenue. Cela s’appelle la réaction de la communauté internationale.

– Règle numéro 5 : Les Palestiniens et les Libanais n’ont pas le droit de capturer des militaires israéliens, même si leur nombre est très limité et ne dépassent pas trois soldats.

– Règle numéro 6 : Les Israéliens ont le droit d’enlever autant de Palestiniens qu’ils le souhaitent (environ 10 000 prisonniers à ce jour, dont près de 300 enfants). Il n’y a aucune limite et ils n’ont besoin d’apporter aucune preuve de la culpabilité des personnes enlevées. Il suffit juste de dire le mot magique « terroriste ».
*
– Règle numéro 7 : Quand vous dites « Hezbollah » [^3], il faut toujours ajouter l’expression *« soutenu par la Syrie et l’Iran ».

– Règle numéro 8 : Quand vous dites « Israël », Il ne faut surtout pas ajouter : « soutenu par les États-Unis, la France et l’Europe » , car on pourrait croire qu’il s’agit d’un conflit déséquilibré.

– Règle numéro 9 : Ne jamais parler de « Territoires occupés », ni de résolutions de l’ONU, ni de violations du droit international, ni des conventions de Genève. Cela risque de perturber le téléspectateur et l’auditeur.

– Règle numéro 10 : Les Israéliens parlent mieux le français que les Arabes. C’est ce qui explique qu’on leur donne, ainsi qu’à leurs partisans, aussi souvent que possible la parole. Ainsi, ils peuvent nous expliquer les règles précédentes (de 1 à 9). Cela s’appelle de la neutralité journalistique.

– Règle numéro 11 : Si vous n’êtes pas d’accord avec ces règles, ou si vous trouvez qu’elles favorisent une partie dans le conflit contre une autre, c’est que vous êtes un dangereux antisémite.

Par Sindibad/CAPJPO-EuroPalestine. »

Une charge, certes. Vous la trouvez exagérée, voire injuste pour les journalistes ? Pour des analyses moins caricaturales (mais non moins sévères) je vous renvoie sur Acrimed, « Gaza : médias en guerre ».

CONTAGION

Il va de soi que notre soutien au peuple palestinien et notre indignation envers les méthodes criminelles d’Israël – qui ne datent pas d’hier – marchent de conserve avec une condamnation sans réserve de tout acte antisémite, toute atteinte aux personnes, aux lieux de culte ou aux biens juifs.
Il est malheureusement inévitable que des événements aussi sanglants que ceux qui se déroulent en ce moment à Gaza ne provoquent, par contagion, des tensions intercommunautaires. Il convient de tout faire pour qu’elles ne s’enveniment pas, et c’est la difficile responsabilité des éducateurs comme des responsables civils et religieux des deux camps (car ne rêvons pas : il y a des camps, et la haine est à fleur de peau). Il est probable que certains prêches (pas tous) dans certains lieux de cultes (pas tous) ne font rien pour calmer les esprits. Mais si l’on veut vraiment que la confrontation puisse être cantonnée sur un terrain politique d’où elle n’aurait jamais dû sortir ; si l’on veut qu’on puisse expliquer à nos gamins des « quartiers », comme on dit, la nécessaire distinction entre l’antisionisme et l’antisémitisme, entre l’Israélien et le juif, ne faudrait-il pas que ces institutions qui prétendent parler au nom des juifs de France cessent d’entretenir la confusion, comme d’appeler du même élan à combattre l’antisémitisme et à soutenir les expéditions guerrières de l’État d’Israël ?

On est très loin du compte.

LA MORALE DU COLIBRI

Quatre cents personnes l’autre jour dans un théâtre de Limoges (on a refusé du monde) pour une projection de Chomsky et cie , le film d’Olivier Azam et Daniel Mermet, organisée par une association locale dont j’aime l’activisme joyeux (je vous en ai déjà parlé), Mémoire à vif. Projection suivie d’un débat avec Mermet lui-même, qui court la France entre deux émissions ou deux reportages, diable d’homme !
Ce film a une belle histoire : il a été en grande partie financée par les auditeurs de « Là-bas si j’y suis », émission radiophonique « modeste et géniale » [^4]. Mermet et Giv Anquetil avaient demandé de longue date un rendez-vous au vieux linguiste (lui aussi génial et modeste !), « l’Einstein de la linguistique », disent les connaisseurs, et ceux qui n’entendent rien à cette science très pointue (comme Mermet et moi-même, faut-il le préciser ?) mais apprécient l’inlassable contestataire, le pourfendeur du capitalisme prédateur et de l’impérialisme sanglant : « l’Elvis du monde universitaire » (dixit Bono, de U2) et avaient fini par l’obtenir. Après une longue attente, car, oui, cet homme de 80 ans est une star mondiale fort sollicitée et qui remplit tous les campus où il passe, outre celui où il enseigne, au MIT de Boston. « Et si on ajoutait une caméra à ta prise de son pour la radio ? » , ont suggéré Les Mutins de Pangée, une coopérative audiovisuelle héritière (si j’ai bien compris) de la défunte Zaléa TV. Banco : la fine équipe invente donc la radio filmée !

Et voilà le travail : ça donne un beau film militant, « film-outil d’autodéfense intellectuelle » où, en écho à Chomsky, qui pourfend de sa douce voix en agitant ses longues mains d’intello « les multinationales, institutions humaines les plus proches des systèmes totalitaires » , affirme l’incompatibilité entre le capitalisme et la démocratie, dénonce les relations incestueuses entre les journalistes et le(s) pouvoir(s), on peut écouter deux de ses épigones plus jeunes : le prof libertaire canadien Normand Baillargeon et le prof belge de Louvain Jean Bricmont. Un film qui tourne en France depuis novembre et rassemble ce public des AMG (auditeurs modestes et géniaux) et au-delà, qui, comme ce soir-là à Limoges, communie dans la détestation du système, crache sur le régime de l’omniprésident, soutient les extradables italiens, les sans-papiers, les sans-logis comme les prétendus terroristes de Tarnac (à propos, manif nationale le 31 à Paris), proteste contre le massacre des innocents de Gaza ; et de façon générale adopte la morale du colibri [[Qui est celle de Mémoire à vif : « Un immense incendie ravageait la savane, les animaux fuyaient devant le brasier. L’éléphant s’aperçut soudain du curieux manège d’un colibri qui faisait des allers et retours entre le feu et un lac assez éloigné, en ramenant dans son bec un maximum de gouttes d’eau qu’il déversait sur les flammes. “Mais enfin Colibri, lui dit-il, arrête ! Tu vois bien que tu ne pourras pas arrêter le feu… – Je sais, dit l’oiseau, mais je fais ma part…” » ( ))].

Guettez le passage de Chomsky et cie dans votre région, mieux, faites-le venir[[ . Adresse : Les Mutins de Pangée, BP 60 104, 75862 Paris Cedex 18.
Pour programmer le film : Virginie Gautier, 06 33 79 81 67, distribution.mutins@gmail.com.]]. Et ne ratez surtout pas le générique, sur le Mont Canigou (dont l’explication vient à son heure en fin de projection) : modeste, je ne sais, mais casse-gueule sûrement et génial forcément !

[^2]: Car, comme on sait, un soldat israélien n’est pas capturé, mais enlevé ; et ce n’est pas un prisonnier, mais un otage…

[^3]: Ou Hamas, note de B. L.

[^4]: Tous les jours sur France Inter à 15 h, précision pour ceux qui vivent sur une autre planète…

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 9 minutes