Science et société, enfin le dialogue !
dans l’hebdo N° 1036 Acheter ce numéro
Les sciences et les technologies sont au cœur du processus industriel et consumériste. Donc du capitalisme. Mais, si surprenant que cela puisse être, le mouvement altermondialiste ne s’est en jamais vraiment préoccupé. Des poussées d’urticaire le grattouillent quand on aborde les OGM ou la brevetabilité du vivant, et une montée des préoccupations écologiques est indéniable. Mais à cela une raison : ces sujets touchent de près le monde paysan, politisé et organisé, qui pratique depuis les années 1960 la convergence entre enjeux corporatistes et choix de société. Rien de tel chez les scientifiques. Les besoins en capitaux de ce secteur sont tels, leur alliance avec le complexe militaro-industriel si puissante, que les institutions scientifiques ont toujours, depuis la Révolution française, été du côté du manche. Ce qui en fait une corporation mal armée pour aborder la question du capitalisme, y compris financier.
Pour autant, nous faisons plusieurs hypothèses. Que l’inquiétude dans le monde de la recherche est d’un niveau plus que critique à l’échelle mondiale, et qu’il ne demande qu’à s’agréger en force de proposition et d’innovation. Que la pression de la mondialisation néolibérale a désormais atteint les principes et l’éthique de ces professions, où une large majorité silencieuse ne se satisfait pas de cet état de fait. Ce contexte a rendu plausible la tenue du premier Forum mondial sciences et démocratie. Cette idée date du FSM de Nairobi en 2007
[[Le groupe de coordination français est composé notamment de : Fondation Sciences citoyennes, Crid,
Espace Marx, Vecam, Vivagora, FSU, FMTS, Sauvons la recherche, Fondation France Libertés, Snes-Sup.]]. De nombreuses discussions avec les milieux de la recherche ont démontré que les divergences de position entre ONG et acteurs de la recherche méritaient mieux que des opinions arrêtées et des invectives. On ne construira pas d’avenir sans une évolution du monde de la recherche, dans ses fondations et ses paradigmes, ni une gouvernance plus « démocratique ». Ainsi, plusieurs syndicats de chercheurs à travers la planète, des mouvements sociaux comme Sauvons la recherche, des ONG indiennes, européennes, brésiliennes, canadiennes ou états-uniennes se réuniront à Bélem pour un dialogue politique entre acteurs de la recherche et ONG. Une première.
Et les questions sont nombreuses. Comment démocratiser les choix scientifiques ? Quel contrôle des technologies émergentes ? Quelle recherche dans un monde durable ? Quels rapports entre connaissances scientifiques et savoirs populaires ? Quelle place pour les universités ? Quelle défense du statut de bien public des savoirs ? Quelle refondation de l’éthique de responsabilité des chercheurs ? Sur ce sujet, désignons, par exemple, le rôle édifiant des mathématiciens dans la complexification des produits dérivés sur les marchés financiers. À ce jour, seul l’économiste Frédéric Lordon a mis les pieds dans le plat. Tout en plaçant le dialogue au cœur des débats, nous n’occulterons pas ceux qui fâchent : ni l’évolution des paradigmes scientifiques en biologie, qui fleure le retour de l’eugénisme des années 1930, ni les critiques contre-productives d’acteurs de la société civile à l’endroit des chercheurs, qui ne créent pas les conditions d’une sortie des enjeux technoscientifiques par le haut.
En octobre 2008, au Forum social européen de Malmö, nous avons vérifié qu’un processus ouvert et non hiérarchique était engagé, où chercheurs et citoyens pouvaient échanger librement. Un bon point de départ. Mais, évidemment, nous ne partons pas de rien. L’évolution du débat public en France comme l’émergence des procédures participatives à travers le monde constituent des pistes politiques d’avenir. Un consortium comme celui du Giec sur le climat démontre que la communauté scientifique peut s’ouvrir en interne à des innovations planétaires. Pour l’heure, les cercles économiques et politiques font de la contre-résistance. Un point central des discussions de Belém.