Au fil du temps
dans l’hebdo N° 1039 Acheter ce numéro
Un mouflet en uniforme qui joue au soldat, d’autres bambins qui chahutent dans la paille estivale, une vieille tisserande aux mains calleuses, des Bretonnes tricotant au pied des flots et ressacs, une procession sagement menée, un mariage champêtre peuplé d’un petit monde endimanché, un atelier de confection avec ses machines et bobines infernales, des baronnes et rombières chapeautées, des coquines décolletées, une foule de musiciens, de casseroleurs, des opérateurs fixant la sortie d’usine gavée de bleus de travail…
Henry Colomer a choisi une approche originale pour raconter la première partie du XXe siècle. Des prémices de la Première Guerre mondiale, quand le cinéma est encore dans son berceau, à la montée des totalitarismes. Une histoire en noir et blanc, muette, tissée d’archives (françaises, allemandes, yougoslaves, anglaises) avec les étoffes pour dénominateur commun. Drapeaux, vêtements de ville, de campagne, de bord de mer, d’une classe sociale à l’autre. Une autre façon de lire la grande histoire, avec ses uniformes, ses pansements, ses langes et linceuls. Autant de signes qui fixent une époque, témoignent, porteurs de symboles qui vont de la naissance à la mort. Des signes qui identifient, différencient, confrontent.
Rythmé par un remarquable montage et par la musique symphonique contemporaine de Jacopo Baboni Schilingi (une composition originale créée pour le film), Sous les drapeaux se déploie en trois mouvements, s’ouvrant sur la quiétude du début de siècle avant de poursuivre avec la fureur de la Grande Guerre. Roulements de tambour et marches au pas en rangs serrés, défilés, masques à gaz et casques à pointe. Fantassins et cavalerie. Les troufions crevés au fond d’un trou terreux, les déplacements mal assurés dans les tranchées, les cohortes de gueules cassées, de mutilés, les femmes aux labours, les enterrements étirés dans le dégradé de gris endeuillés. Une fois la paix revenue, célébrée en hauts-de-forme et fanfaronnades, ce sera le retour de la musique, des flonflons des années folles, des robes élégantes à côté de tristes hères en guenilles, traîne-misère et traîne-savates. La pause ne s’étire guère longtemps, juste avant qu’une autre étoffe ne s’impose, un étendard frappé d’une croix gammée, comme une parenthèse d’horreurs qui ne se refermerait pas.