« Comment peut-on être exclu de tout ? »
Porte-parole du Collectif contre l’exploitation outrancière, Élie Domota* explique les raisons qui ont poussé les Guadeloupéens à se mettre en grève générale.
dans l’hebdo N° 1038 Acheter ce numéro
Un mouvement de grève a été lancé en Guadeloupe par le Collectif contre l’exploitation outrancière (« Lyannaj kont pwofitasyon »). Quelle en est l’origine ?
Élie Domota : La Guadeloupe vit depuis plusieurs années une situation sociale désastreuse. 100 000 personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté [sur une population de 450 000 habitants, NDLR]. Nous avons un taux de chômage record, qui dépasse les 30 %. À cela, s’ajoute la vie chère. Importateurs et distributeurs imposent des marges exorbitantes. Ils font des profits colossaux sur le dos des Guadeloupéens. Un exemple : la différence de prix d’un kg de pâtes alimentaires est de près de 80 % entre la France et la Guadeloupe. On nous dit que c’est le transport et le coût du carburant. C’est faux ! Les documents de la douane l’attestent.
Le déclenchement de ce mouvement a été le prix des carburants. Nous sommes l’une des zones où l’essence est la plus chère de France. Syndicats, associations culturelles, organisations politiques et de défense des consommateurs, nous avons donc pris la décision de réunir nos forces et de publier une plateforme de revendications, notamment un relèvement immédiat d’au moins 200 euros des bas salaires, des retraites et des minima sociaux afin de relancer le pouvoir d’achat.
Élie Domota, le 29 janvier, lors d’une conférence de presse.
Tack/AFP
Les avertissements du collectif remontent à plus d’un mois. Qu’elle a été l’attitude de l’État, des élus et du patronat ?
Les représentants de l’État et nos élus nous ont accueillis avec le plus grand mépris. Quand nous avons organisé des manifestations les 16 et 17 décembre 2008, nous avons été reçus par le sous-préfet de Pointe-à-Pitre, lequel n’avait rien à nous dire. Le lendemain, le préfet a refusé de nous recevoir. Cela fait plus d’un mois que nous avons menacé d’un vaste mouvement social. L’État le savait, les collectivités et les patrons aussi, mais ces derniers ont continué le tapage médiatique en disant que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le ministre des « colonies », Yves Jégo, nous a fait parvenir un texte pour nous dire qu’il fallait reprendre le travail [^2]. En nous menaçant ! Depuis une semaine, des gendarmes affluent en Guadeloupe, et depuis peu des bâtiments militaires croisent au large de l’île. Comme si on voulait massacrer les « nègres ». Cela rappelle 1967 et l’assassinat de plus de 100 Guadeloupéens à la suite d’une grève dans le bâtiment pour une augmentation de salaire.
On vous reproche de mettre à mal l’économie guadeloupéenne avec ce mouvement et vos revendications. Que répondez-vous ?
Nos revendications sont légitimes. D’ailleurs, quand on les compare avec celles des travailleurs français, nous sommes en deçà de ce qu’ils réclament, notamment sur le salaire minimum, les minima sociaux et les augmentations de salaires. Nous exigeons de plus la transparence sur les prix ainsi que la baisse du prix des denrées de première nécessité et de ce qui concerne la vie quotidienne : eau, transport, communication, électricité, gaz, etc.
Nous posons également le problème de la discrimination raciale à l’embauche. Comment peut-on, en Guadeloupe – alors que nous, Guadeloupéens d’origine africaine et indienne, composons la majorité de la population –, être exclu de tout ? La paix sociale n’est possible que si la majorité des enfants de ce pays ne sont pas exclus de tout. Il faut que les Guadeloupéens puissent travailler en Guadeloupe.
- Élie Domota est aussi secrétaire général de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG).
[^2]: Dans un communiqué daté du 28 janvier, le secrétaire d’État à l’Outre-Mer a indiqué qu’un cycle de discussions « n’est possible que dans un climat apaisé où chacun respecte l’autre et où l’activité reprend son cours normal » dans l’île antillaise.