Courrier des lecteurs Politis 1038
dans l’hebdo N° 1038 Acheter ce numéro
Barack Obama aurait copié sur Ségolène dans sa campagne ! Coluche avait raison : certains politiques piquent le boulot des humoristes.
Georges Fougerolles, Paris
La survie à Gaza
Nous publions ici la suite du témoignage de Dania Amro, paru dans le n° 1036 de Politis.
Je ne sais pas par où commencer mais je remercie tous les amis et ceux qui m’ont envoyé des messages de solidarité au plus fort de mon angoisse. […]
Vingt jours de terreur : des tonnes d’explosifs sont tombées sur Gaza […] de tous les côtés, de la mer, du ciel, du nord au sud […]. Toutes les nuits, je restais éveillée à la lumière d’une bougie ; mes enfants avaient très peur du noir, et on était tous regroupés dans la chambre du milieu en espérant être en sécurité si un obus touchait la maison. La radio restait allumée, pour avoir des nouvelles des forces terrestres, savoir où elles étaient arrivées. J’avais peur de fermer les yeux, que la bougie s’éteigne ou qu’un obus nous tombe dessus à tout moment, le portable dans ma poche, le sac préparé près de moi au cas où on serait obligés de quitter la maison. […] Chacun de mes enfants était accroché à mon bras pour être sûr que j’étais à côté ; ma fille Mira, 6 ans, sursautait à chaque coup, mais n’ouvrait pas les yeux pour me prouver qu’elle était courageuse. Mais je sentais ses mains me serrer le bras […]. Je comptais les minutes en attendant que le jour se lève. C’était moins effrayant le jour, les confrontations s’amplifiaient pendant la nuit, la lumière du jour nous offrait plus d’espoir. Chaque matin, je me disais : « Un autre jour et on est vivant », en espérant que ce serait le dernier de cette guerre.
Mon mari et mon beau-père lançaient parfois des blagues pour apaiser notre peur. Ça ne servait à rien. À la radio, on entendait des appels au secours provenant des familles coincées dans leur maison ou dans la cage d’escalier, leurs enfants criaient, pleuraient, on entendait les bombardements autour d’eux. […].
Dans le quartier Al Karama,
où il n’y avait même pas d’affrontements, on a jeté un obus sur une voiture, une famille de quatre personnes a été tuée, la famille Zeyada, le père transportait sa femme qui allait accoucher à l’hôpital, et leurs deux enfants, qui ne pouvaient pas rester seuls à la maison.
Après treize jours, la Croix-Rouge a eu la permission de retirer les cadavres de 29 personnes de la famille Al Samouni, enterrées sous un bâtiment qu’un tir de F16 a fait s’écrouler en quelques secondes, au prétexte qu’un résistant se cachait derrière cette maison. […]
Une nuit, le directeur des urgences a annoncé à la radio que le personnel ne pouvait plus répondre aux appels, il expliquait qu’ils avaient perdu plus de 20 ambulances, 15 ambulanciers et 2 médecins. Ils étaient devenus eux-mêmes des cibles.
La troisième semaine de guerre, on a réussi à évacuer après qu’un obus est tombé sur la maison d’en face et un autre sur la mosquée du quartier […]. Nous sommes allés chez la sœur de mon mari, on était très nombreux, il y avait aussi avant nous d’autres réfugiés. […]
Enfin, on a annoncé le cessez-le-feu le 17 janvier. On a retrouvé notre maison toujours debout, mais je n’ai même pas reconnu l’entrée du jardin, le mur de clôture était détruit. […] Une fois à l’intérieur, on a découvert qu’elle avait été occupée par plus de 50 soldats pendant une semaine : meubles cassés, toilettes bouchées, de la merde et de la pisse partout, du chewing-gum, de la nourriture, des ordures, des sacs de sable…
Les murs et les vêtements étaient troués par des balles, les portes cassées. […]
Bref, j’ai compris pourquoi la maison était toujours là : ils se protégeaient à l’intérieur et plaçaient leurs snipers pour tirer sur tout ce qu’ils soupçonnaient. […]
Dans le bureau, ils ont trouvé des livres et des documents en français, alors ils ont laissé un message en français sur le mur : « À mort les Arabes, on reviendra vous tuer. » Bref, la maison était inhabitable.
Avec l’aide de quelques amis et de mes sœurs, on a passé plus de quatre jours à nettoyer et à réparer. Il y avait des milliers d’autres personnes qui revenaient vers ce qui restait du quartier. […] Une maman essayait de retirer quelques vêtements pour ses enfants…
Les infrastructures sont complètement détruites, on ne retrouve même pas les poteaux électriques […]. Le cinquième jour, on a décidé de revenir […].
Aujourd’hui, c’est la sixième nuit qu’on passe à la maison, elle est encore en désordre, le ménage avance très lentement vu qu’on n’a pas suffisamment d’eau, pas d’électricité […]. La nuit, l’obscurité est complète. De notre fenêtre, on peut observer le port et la ville israélienne d’Ashdood, à 15 km, avec toutes les lumières qui étincellent.
La guerre n’est pas finie et ses effets non plus : 80 % des enfants de Gaza ont des problèmes psychologiques, un sommeil agité, ils font pipi au lit, mon fils le fait même le jour, mes enfants ne se déplacent plus dans la maison sans moi […]. Ma fille a repris l’école ; chaque soir, elle revient avec l’histoire d’une copine qui a perdu son frère ou son père, ou d’une nouvelle élève dont on a détruit l’école […]. Les gens ne peuvent pas reconstruire leur maison, il n’y a pas de matériel de construction ; les appartements à louer sont déjà tous occupés avec le nombre de gens chassés de leur maison.
Le bilan est de 1 350 morts,
dont la moitié sont des enfants et des femmes, 100 personnes toujours disparues, plus de 5 000 blessés […].
Un journaliste m’a demandé si j’étais en colère, « et contre qui ? » , j’ai répondu. Je ne sens pas la colère, je suis toujours sous le choc, je ne crois pas à ce qu’on a vécu, je n’arrive pas à croire qu’on a survécu, que mes enfants ne sont pas blessés.
Et si vous étiez à notre place, vous comprendriez que la colère dans la guerre ne sert à rien.
Dania, Mohammed
SOS presse jeunesse
Je voudrais exprimer ma grande tristesse devant la mort annoncée des deux journaux d’actualités pour les juniors de Milan presse. Ces petits journaux ne pratiquaient pas la langue de bois. Ils étaient parfaits pour donner aux jeunes le goût d’une bonne information. Beaucoup de classes sont abonnées à ces journaux. Quand j’étais professeur, je les conseillais aux parents ; nombreux étaient ceux qui reconnaissaient avoir pris goût à la lecture de l’actualité grâce à eux.
Les journaux pour adultes pâtiront de cette disparition, sur le long terme. Que faut-il faire ? Une nouvelle formule peut-elle naître pour sauver cet aspect primordial de la presse jeune ? Nous avons bien soutenu Politis, que faut-il faire pour les futurs lecteurs de la presse ? Je sais que les abonnements coûtent cher, ce sont des cadeaux pour nos petits-enfants qui nous ont fait abandonner certains de nos abonnements, mais c’est un pari sur l’avenir. Le premier devoir du citoyen est l’information.
Maïtée Lebot, Montaigu (Vendée)