La fragilité des liens

Dans « 35 Rhums »,
Claire Denis filme
des vies intérieures.

Christophe Kantcheff  • 19 février 2009 abonné·es

Un RER glisse dans la banlieue parisienne. La caméra est dans la cabine du conducteur, elle « avale » les rails et le décor alentour. Le mouvement est lent, plein, étonnamment serein. Quelques instants plus tard, la nuit est tombée. Un homme observe les mouvements de la circulation des rames et des lumières dans le paysage urbain. Après son travail, il fait une pause avant de rentrer chez lui. Il prend son temps. Comme le film.

On découvrira progressivement que cet homme, Lionel (Alex Descas), est le père d’une jeune femme (Mati Diop) qui habite encore avec lui. Que sa femme est morte depuis longtemps. Que la voisine (Nicole Dogué) est secrètement amoureuse de Lionel. Que le jeune ami de la famille (Grégoire Colin), qui habite le même immeuble, est lui aussi devenu un adulte.

35 Rhums est fait de climats. Délesté des rythmes impératifs de la narration, il avance à son rythme, nonchalant. Mais il réussit là où le précédent film de Claire Denis, l’Intrus, échouait : le film prend corps. Sans doute en raison de la justesse des relations qui se jouent entre les personnages, qui s’expriment moins par la parole que par des gestes, des rires, des regards. Un plaisir d’être ensemble que l’on sent perpétuellement en danger, comme si cette petite communauté pouvait soudain se séparer, comme si la fille allait bientôt quitter le domicile familial…

Mais 35 Rhums n’est certainement pas une chronique naturaliste de la vie en banlieue de travailleurs ou d’une étudiante noirs. Plus qu’une description de la violence sociale, on y perçoit la vie intérieure d’individus guettés par la solitude mais désireux de liberté. L’atmosphère tout en délicatesse de 35 Rhums n’exclut pas le désarroi. Claire Denis est parvenue à filmer la fragilité de ce qui réunit.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes