L’Amazonie, défi planétaire
Le Forum social mondial, qui s’est déroulé au Brésil, a placé l’Amazonie au cœur des enjeux de la crise mondiale. Une course contre la montre incertaine pour enrayer la déforestation et la disparition des peuples indigènes. Si rien n’est fait, l’Amazonie deviendra une savane en 2040. Reportage de Patrick Piro.
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D’abord, trois gouttes d’avertissement. Puis, très vite, une heure de seaux d’eau. Belém, dès les premiers mètres de la marche d’ouverture du 9e Forum social mondial (FSM), livre aux invités sa leçon de choses amazonienne inaugurale. La foule, un instant saisie, se reprend dans l’hilarité. C’est tous les jours la même chose, et les vendeurs de parapluies prospèrent aux portes des deux campus universitaires qui ont bouillonné de centaines de séminaires, colloques, ateliers et événements, du 27 janvier au 1er février. « Avant, on se donnait rendez-vous avant ou après la pluie, vers 14 h. Aujourd’hui, l’horaire de la pluie a changé… » , évoque joliment une jeune femme. Dans son taxi, Francisco peste, non pas sur les embouteillages qu’aggrave le défilé des 70 000 marcheurs, mais parce qu’on rase la forêt. « Certes, il pleut, mais de moins en moins. Ici, on roulait sous des tunnels de manguiers, avant. »
La marche d’ouverture du 9e Forum social mondial à Belém.
P. Piro
Belém est une ville indienne postée à l’embouchure de l’Amazone et aux portes de son immense forêt. Le bassin, qui couvre environ 7 millions de km2, dont plus de 60 % au Brésil, canalise près d’un quart des eaux douces de la surface de la planète. Une pièce maîtresse de la régulation climatique du continent. En 2006, un violent accès de sécheresse, le pire depuis quatre-vingts ans, avait isolé des dizaines de villages dans la forêt : des Andes à l’Atlantique, les 100 000 km de cours d’eau du bassin forment l’essentiel de ses voies de circulation.
Depuis trente ans, rongée sans relâche par les coupes forestières (illégales à près de 90 %), pâturée ensuite par les bovins, et enfin arasée pour la culture du soja, la forêt amazonienne a perdu 18 % de sa végétation initiale, et une aire équivalente est considérée comme dégradée. Avertissement des écologues : une savane s’installe ensuite, et cette mutation sera irréversible si le déboisement atteint 40 % de la superficie amazonienne. Au train actuel, le rendez-vous fatal est pour 2040 environ. Dans ce bassin, qui abrite la plus importante variété d’espèces de tous les écosystèmes terrestres, les conséquences de cet effondrement seraient incalculables.
Une fois n’est pas coutume, le FSM, qui s’est toujours gardé des enrôlements, s’est placé sous le signe d’une thématique dominante : le sauvetage de l’Amazonie et de ses peuples. L’évidence s’est imposée tant les enjeux sont cruciaux – du village indien à la planète – et emblématiques de la prédation aveugle mais aussi de la violence, de l’impunité et du mépris des populations.
L’Amazonie, souvent réduite à un énorme réservoir à bois, terres, énergie, minerais, etc., attise des convoitises pour un butin dont la majeure partie file à l’exportation. Un exemple : selon un rapport de Greenpeace publié au FSM, le cheptel bovin amazonien est passé de 27 à 64 millions de têtes entre 1990 et 2003. Une multiplication par 2,5 est aussi constatée cette dernière décennie pour les pâturages, qui couvrent 55 millions d’hectares. Le Brésil, premier exportateur mondial de viande bovine, entend doubler sa part de marché d’ici à 2018 pour la porter à 60 %, croissance désormais assurée par le cheptel amazonien.
De gigantesques projets miniers sont en cours, comme ceux de la compagnie nationale Vale, qui recourent au charbon tiré du bois local et à l’électricité de grands barrages. Une vingtaine en tout, notamment dans l’ouest de l’Amazonie, sur le fleuve Madeira, qu’ils auront aussi pour fonction de rendre navigable. Un maillon du grand programme stratégique « IIRSA » pour l’évacuation des matières premières d’Amazonie. Autour des projets de barrages, dénoncent les militants, le gouvernement et les entrepreneurs (et certains syndicats) bercent les populations de la fable de « l’énergie propre » et de la bataille pour une croissance « à 5 % » pour justifier expulsions, inondation de villages et indemnisations misérables.
Le gouvernement Lula estime pourtant faire beaucoup pour la préservation de l’Amazonie. Chiffre méconnu, près de 45 % de sa superficie sont aujourd’hui protégés, qu’il s’agisse de terres indigènes ou d’unités de conservation environnementale. « On voit apparaître une scission entre deux Amazonie, relève Philippe Sablayrolles, chercheur du Groupe de recherche et d’échanges technologiques (Gret). Pour mieux sacrifier celle qui n’est pas protégée ? »
De fait, les velléités sont légions. Ainsi, le lobby des grands propriétaires veut démanteler la disposition légale qui les oblige, en Amazonie, à conserver intactes au moins 80 % des parcelles, pour faire tomber cette réserve à 50 % de la surface. La loi actuelle est de toute façon déjà largement bafouée…
Sous la pression internationale, le gouvernement s’est engagé fin 2008 à une division par deux de la déforestation actuelle (12 000 km2/an) d’ici à 2018. Audacieux ? Non, pas à la hauteur, rétorquent plusieurs spécialistes. Greenpeace, avec huit autres ONG, défend la « déforestation zéro » pour 2015, et la rémunération des propriétaires qui conservent la forêt « sur pied », « car il faut impérativement enrayer la catastrophe en marche, insiste Paulo Adario, directeur de la campagne Amazonie à Greenpeace. Il ne s’agit pas d’interdire toute activité dans la forêt, mais de favoriser les pratiques respectueuses ». Comme l’extrativisme, exploitation durable des produits de la forêt « cultivée ». « Les organisations sociales, hostiles au départ, nous rejoignent. En effet, à cause des réglementations sur le crédit, la commercialisation, etc., les activités prédatrices restent les plus rémunératrices. Nous devons faire pression pour que le gouvernement modifie sa mentalité. Lula, c’est un très chouette mec, mais de la vieille gauche. Il n’a pas fait le lien entre justice sociale et écologie… »