L’ONU complice de l’État algérien
Décidément, le pouvoir d’Alger n’aime pas ses opposants. Surtout ceux qui s’obstinent à dénoncer les violations des droits humains perpétrées par les forces de sécurité dans leur pays durant les années de la « sale guerre » des années 1990 et jusqu’à ce jour. Et il n’hésite pas, pour tenter de les faire taire, à porter le fer jusqu’au sein de l’ONU, où il trouve aujourd’hui d’étranges complicités. Rachid Mesli en sait quelque chose. Depuis le putsch des généraux algériens en janvier 1992, cet avocat défend des opposants, souvent accusés de terrorisme, des familles de disparus, des victimes de torture et de procès inéquitables, etc. Il a lui-même été victime, en juillet 1996, d’enlèvement, de détention au secret et de tortures, avant d’être condamné à trois ans de prison pour « apologie du terrorisme ». Libéré en 1999, il a repris ses activités d’avocat et de défenseur des droits humains, avant d’être contraint de s’exiler vers la Suisse en 2000, où il a obtenu le statut de réfugié politique. C’était sans compter sur l’acharnement des autorités algériennes, qui le poursuivent depuis 2003 pour… « adhésion à un groupe terroriste » et multiplient depuis les procès et les condamnations.
Me Mesli a néanmoins poursuivi son combat, à la fois au sein de la Commission arabe des droits humains (CADH) [ ^2 et de l’organisation Alkarama ^3, installée à Genève. Cette dernière est particulièrement active devant les instances de l’ONU, en principe en charge de la défense des droits humains par divers mécanismes, comme l’« examen périodique universel » (EPU), récemment introduit par le nouveau Conseil des droits de l’homme.
C’est à l’occasion de l’examen dans ce cadre du cas de l’Algérie par le Conseil que Rachid Mesli, au nom de la CADH, a pris en juin 2008 la parole devant celui-ci [^4]. Ce qui a vivement irrité l’ambassadeur algérien à Genève, M. Idriss Jazaïri. Celui-ci a donc fait valoir auprès du Conseil le fait que Rachid Mesli serait membre du… GSPC, qui figure sur la liste des organisations ayant des activités terroristes, établie par le Comité des sanctions du Conseil de sécurité. Et, le 19 janvier 2009, l’Algérie a invoqué cette accusation absurde pour fonder une plainte devant le Comité des ONG du Conseil économique et social (Ecosoc) de l’ONU, à New York, en demandant la suspension pour trois ans du statut consultatif de la CADH auprès de l’ONU.
Cette plainte ne surprend guère : M. Jazaïri, réputé pour ses dérapages verbaux, a plus d’une fois fait l’amalgame entre la défense des droits humains et le terrorisme pour stigmatiser les militants incommodes. Les activités des ONG à l’ONU exaspèrent en effet un régime qui accumule les condamnations, de la part notamment du Comité des droits de l’homme et de celui contre la torture. Ce qui surprend, en revanche, c’est la célérité avec laquelle le Comité des ONG a donné suite à la demande du régime algérien, sans prendre le temps de vérifier ses allégations. Le 28 janvier, à peine dix jours après le dépôt de la plainte, il suspendait en effet pour un an le statut consultatif de la CADH auprès de l’ONU. Une décision qui en dit long sur l’instrumentalisation politique de certains organes de l’ONU chargés de la défense des droits humains, au profit d’États qui sont les premiers à les violer de façon continue.
[^4]: Voir Salima Mellah, « Des crimes contre l’humanité », Politis, 29 mai 2008.
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