Reprise de courage

Le succès de l’Appel des appels, qui s’est réuni le 1er février au Centquatre, à Paris, témoigne de la construction d’un mouvement social de fond décidé à contrer la mise en place d’une société hostile à la pensée.

Ingrid Merckx  • 5 février 2009 abonné·es

« Nous partîmes 500… » Rires dans la salle de 500 places du Centquatre à Paris, déjà comble à 10 heures pétantes. «…Mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. Tant, à nous voir marcher avec un tel visage, les plus épouvantés reprenaient de courage ! », a poursuivi le psychanalyste Alain Abelhauser à la tribune de l’Appel des appels, samedi 1er février, sous les applaudissements.
Cette tirade du Cid donnait le ton de la journée. Et de l’opération : lancé par des enseignants en psychologie, dont Roland Gori, de l’université d’Aix-Marseille, l’Appel des appels se veut une « nouvelle manière », transversale et non syndicale, de « militer et de penser les évolutions ultralibérales actuelles » . Un « point d’ancrage du malaise de tous les professionnels de l’éducation, de la recherche, de la santé, de l’information, de la culture… » , résumait Libération en publiant le texte de l’Appel, le 23 janvier. Soit la première grosse réaction d’intellectuels depuis le 6 mai 2007. Faut-il remonter plus en amont ? « Nicolas Sarkozy n’est que l’enfant monstrueux de pratiques nées sous Mitterrand », a jugé Edwy Plenel, directeur de Mediapart, estimant que, pour « sortir de la déploration » , il fallait « comprendre comment on en est arrivé là » . L’heure n’était pourtant pas à la plainte, au Centquatre, mais à la détermination devant ce qui prend la forme d’un mouvement social de fond.

Illustration - Reprise de courage

Philippe Meirieu : « La ruse du sarkozysme est de s’adresser à l’individu et non au citoyen »
AFP

« Déjà 55 000 signatures », a déclaré Robert Cantarella, président du lieu. « Le temps des appels isolés est fini » , annonçait la philosophe Marie-José Mondzain à 8 h 45 sur France Inter, évoquant une logique de « convergence » . La convergence des pas précédant celle des luttes ce matin-là, depuis les stations Stalingrad et Crimée, qui ont progressivement déversé vers le 104, rue d’Aubervilliers, les participants soucieux de répondre à cet « Appel des appels ».

Toute la matinée, et en préparation des témoignages de l’après-midi, des « référents par secteur » se sont succédé à la tribune pour faire le point sur « ce qui ne va pas dans… » : l’information, la culture, la justice, la prévention et le travail médico-social, l’éducation, la recherche et l’université, l’hôpital, le soin psychique… À l’extérieur de la salle trop pleine, on continuait à se masser sous la verrière du Centquatre, dans une cour baignée de soleil, où un haut-parleur diffusait l’intégralité des échanges.
Ce furent 3 h 30 non-stop de passage en revue des récentes mesures aux « conséquences sociales désastreuses » . Depuis la peine sur la rétention de sûreté et le dépistage des troubles de conduite chez les moins de 3 ans à la réforme de l’audiovisuel et du statut des enseignants-chercheurs, en passant par les reconduites à la frontière, la précarisation des métiers, la mainmise sur les statistiques et la presse, la mise en concurrence des établissements et des professionnels… Rien de très nouveau, peut-être, mais un partage inédit dévoilant une ma­nœuvre politique globale.
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« Ceux qui décèlent le dispositif d’ensemble sont stigmatisés en tant qu’idéologues »* , a maugréé Isabelle This Saint-Jean, de Sauvons la recherche. Quand il s’agirait plutôt de clairvoyance. « Grand corps social malade », « civilisation de la haine de la pensée », « société du visible, du rentable, des pôles d’excellence, de l’innovation comme moteur principal de la croissance, de la technocratie, du renfermement sur soi, de la culture du résultat, de la destruction des services publics et du maillage associatif, de la domestication du judiciaire, du renforcement de l’état pénal… » Chacun y est allé de sa formule pour caractériser la machine présidant à tout cela.
« Trop tôt pour poser un diagnostic, a admis le magistrat Serge Portelli, mais nous sommes tous d’accord sur l’évidence d’une pathologie » , a-t-il grincé en développant sur le thème de « l’État limite ».

Rarement il aura été autant question de retrouver des « valeurs humanistes » et les « fondamentaux du lien social » . « Nous sommes tous sarkozystes ! » , a provoqué le professeur Philippe Meirieu en cinglant : « La meilleure ruse du sarkozysme consiste à s’adresser à l’individu et non au citoyen, qui fait primer l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel. »
« Il gagne tant qu’il divise » , a-t-on renchéri en fustigeant une stratégie « d’attaques par secteurs » . « Disons “mesures” plutôt que “réformes” pour ne pas sembler conservateurs » , a également mis en garde Philippe Meirieu en soulignant l’objectif principal : préserver les services publics. « L’Appel des appels est la seule modalité d’action possible » , a martelé David De Pas, du Syndicat de la magistrature. « Nous partageons la même colère et le même sentiment de responsabilité collective » , a ajouté le sociologue Laurent Mucchielli.
Reste à savoir ce qui va naître de ces échanges. Certains rendez-vous sont déjà pris. Le 30 janvier, lendemain de la grande grève, Nicolas Sarkozy a concédé : « La crise économique suscite une inquiétude légitime. » Ce n’était pourtant pas la crise économique que ciblaient les « chagrins » exposés le 1er février au Centquatre, mais les symptômes sévères d’une crise politique.

Société
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