Une Aube « irradieuse »
Après huit mois d’investigation nationale, c’est le département de l’Aube qui pourrait accueillir le premier site français de stockage de déchets radioactifs de « faible activité à vie longue ».
dans l’hebdo N° 1041 Acheter ce numéro
Après Soulaines et Morvilliers, l’Aube va-t-elle hériter d’une troisième poubelle nucléaire ? C’est ce que redoutent nombre d’habitants, alors que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) va dévoiler ses préférences pour le premier site français de stockage de déchets nucléaires « faible activité à vie longue » (FAVL), d’une capacité de 200 000 m3.
Le département est bien garni, côté atome : il accueille déjà Soulaines (pour les déchets de faible et moyenne activité à vie courte) et Morvilliers (très faible activité)
– 140 ha et 1,65 million de m3 de capacité au total –, mais aussi une centrale (Nogent-sur-Seine), une florissante entreprise de transport de déchets radioactifs (Daher) et un stockage d’obus à l’uranium appauvri à Brienne-le-Château. Dans son voisinage immédiat, la centrale de Chooz (Meuse), le centre d’expérimentation de Valduc (Côte-d’Or) et le futur stockage de déchets HAVL (haute activité à vie longue) à Bure (Haute-Marne). En projet : le Musée du nucléaire de Bar-sur-Seine. La décharge FAVL assurerait à l’Aube un avenir définitivement « irradieux ».
Un site de stockage exploité par l’Andra depuis 1992 à Soulaines-Dhuys, dans l’Aube. Laban-Mattei/AFP
En juin 2008, raconte Michel Gueritte, président de l’association Qualité de vie (QV), 3 115 communes étaient informées par l’Andra que leur géologie les autorisait à être candidates pour héberger son site FAVL, sirènes à l’appui – « développement économique dynamisé par une activité industrielle pérenne… en interaction avec le territoire », « parcours de visite adapté à différents publics » – et dotations financières alléchantes. Pourtant, 99 % ont préféré se passer de la « notoriété » liée à l’enfouissement en faible profondeur de centaines de milliers de m3 de résidus de centrales et d’industries, dont la radioactivité met jusqu’à mille six cents ans pour décroître de moitié (radium), et même bien plus pour d’autres éléments minoritaires.
Mais, dans l’Est, 31 communes sont volontaires, dont 10 dans l’Aube, 10 en Haute-Marne et 6 dans la Meuse. L’Agence en retiendra quelques-unes pour une fouille géologique approfondie. Et, en 2010, elle dévoilera le nom de l’élue, qui consultera à nouveau son conseil municipal pour confirmer sa destinée. « Les municipalités se sont fait piéger » , dit la QV, qui ne croit guère à cette transparence soudaine : trois maires ont appris du ministère de l’Écologie que cette délibération ne serait que « consultative » , l’Andra pouvant passer outre.
Les appâts de l’Andra déclenchent des complaisances qui menacent notamment l’avenir du Parc naturel régional de la forêt d’Orient (PNRFO), où la protection du patrimoine et de l’environnement fait loi. Il compte 53 communes, dont 3 sont candidates à la poubelle FAVL ! Et une autre fait partie de la liste des 16 communes que le parc pourrait englober dans son projet actuel d’extension. Problème, disent les opposants, l’article 49 de la charte du PNRFO stipule : pas d’implantation « de nouveaux centres d’enfouissement technique, ni aucun incinérateur, ni centre de stockage de déchets nucléaires ». De quoi contrarier les postulants. Et inciter Nicolas Dhuicq, député maire de Brienne-le-Château, située dans le parc, à convaincre son monde des bienfaits des FAVL. « Aux élus de faire preuve de responsabilité envers les générations futures » , écrit-il dans le bulletin municipal. Selon lui, « la direction du PNRFO ne s’oppose pas à l’implantation » . Mieux : il supprimerait bien l’article 49. « Mêler la haute technologie avec l’environnement » ne le choque pas. « Ça n’engage que lui , réplique, Christian Branle, président du Parc, mon travail est de faire appliquer toute la charte. »
Michel Gueritte est convaincu que l’Andra a déjà choisi et que le site sera dans le Soulainois, qui a oublié son opposition de jadis au nucléaire. En fouinant, il est même tombé sur une terminaison de fibre optique fraîchement posée en plein champ. Idéal pour les futurs bureaux, ironise-t-il. En attendant la liste des nominés, que le ministère traîne à divulguer, il diffuse des reportages vidéo à Borloo ainsi qu’au préfet, et prend les paris : le gagnant, pour lui, c’est Juzanvigny.