Une instruction strictement à charge
Le procès en appel d’Yvan Colonna s’est ouvert le 9 février.
L’enquête a été menée au mépris de la présomption d’innocence.
Résultat : un profond malaise, né du sentiment d’une possible injustice.
dans l’hebdo N° 1041 Acheter ce numéro
Patrick Baudouin est avocat et président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).
Pourquoi la FIDH a-t-elle décidé d’envoyer des observateurs lors du procès en première instance puis du procès en appel d’Yvan Colonna, qui se déroule actuellement ?
Patrick Baudouin I La FIDH est investie dans la lutte contre toutes les dérives liées aux procédures antiterroristes et aux atteintes aux libertés qui en découlent. La FIDH, comme la Ligue des droits de l’homme française, a toujours contesté la législation d’exception qui est issue des lois Pasqua de 1986. C’est donc dans la logique de l’action de la FIDH qu’il lui a paru utile d’assurer une observation judiciaire aux procès Colonna, compte tenu d’une suspicion légitime qui pouvait peser sur la qualité de l’enquête et de l’instruction menées depuis 1999 autour de l’assassinat du préfet Claude Érignac.
Une suspicion légitime pèse sur la qualité de l’enquête et de l’instruction depuis 1999. Agostini/AFP
Quelles étaient les grandes lignes du rapport des observateurs mandatés par la FIDH portant sur le premier procès Colonna ?
Le rapport a principalement fait ressortir que l’enquête et l’instruction avaient été menées à charge. Le rapport indiquait déjà que des investigations ou des auditions de témoins, qui paraissaient pourtant s’imposer, avaient été écartées. Il soulignait aussi que cela était d’autant plus dommageable qu’il n’y avait aucune preuve matérielle certaine de la culpabilité d’Yvan Colonna. Par ailleurs, en ce qui concerne les témoins entendus, le rapport rappelait d’une part que plusieurs d’entre eux s’étaient rétractés, en particulier les premiers accusés (qui ont fait l’objet d’autres procès), et d’autre part que les conditions d’audition de certains autres témoins paraissaient très critiquables du fait de pressions dénoncées dans le cadre des interrogatoires policiers. Je pense en particulier aux épouses des personnes qui ont été poursuivies, en dehors d’Yvan Colonna. Ces femmes ont été gardées à vue plusieurs jours, pendant lesquels elles ont été pour le moins intimidées. Le rapport disait donc qu’avant même l’ouverture du procès, les dés étaient pipés.
Les péripéties que connaît aujourd’hui le procès en appel sont-elles, selon vous, les conséquences des manquements relevés par ce rapport ?
Il est prématuré de tirer des conclusions définitives. Mais il est évident que ce qui se déroule depuis l’ouverture du second procès Colonna ne fait que confirmer et même amplifier les critiques qui ont été exprimées dans le premier rapport de la FIDH. En particulier, le témoin surprise (Didier Vinolas, NDLR) venant dire que deux des personnes impliquées dans l’opération de l’assassinat du préfet sont toujours dans la nature alors que leurs noms ont été communiqués a jeté un fameux trouble. Mais ce qu’il a énoncé là, d’autres témoins antérieurs l’avaient déjà dit ! Plusieurs témoignages ont en effet déjà attesté que d’autres personnes, certainement membres du commando, n’avaient pas été mises en cause. Cela conforte les conclusions du rapport : l’instruction a été faite strictement à charge, notamment en refusant de nombreuses demandes d’actes formulées par les avocats de la défense. Yvan Colonna a été d’emblée désigné comme coupable, y compris par le Premier ministre de l’époque, et le reste a été occulté.
Que penser du fait que le président du tribunal soit obligé, en pleine audience, d’avouer qu’il n’a pas ouvert la lettre de Didier Vinolas, qui lui a pourtant été transmise…
On ne peut, en l’occurrence, qu’exprimer une immense surprise : je veux bien qu’un président de cour d’assises reçoive, comme il l’a dit, toute une série de correspondances peu sérieuses à la veille d’un procès. Mais de là à expliquer que, sous ce prétexte, on n’ouvre pas les courriers qui vous sont adressés, voilà qui laisse pantois.
De deux choses l’une. Ou bien le président n’a réellement pas ouvert cette correspondance, ce qui est d’un laxisme affligeant. Ou alors la correspondance a été ouverte, il n’en a pas tenu compte et il a au surplus menti en disant qu’il ne l’avait pas ouverte. Ce qui pose un problème sérieux.
Que pensez-vous des quatre jours (dont un week-end) de suspension accordés en fin de semaine dernière pour supplément d’information ?
Même si finalement le témoignage surprise s’avère moins essentiel qu’on a pu le penser de prime abord, il imposait un supplément d’information, ne serait-ce que pour essayer de rattraper les lacunes de la procédure. Mais décider d’un si court délai pour un supplément d’information, ce n’est pas très sérieux. Cela ressemble à un subterfuge pour éviter un refus pur et simple.
Y a-t-il un lien entre ces failles judiciaires et l’atmosphère électrique que connaît ce procès ?
Traiter un procès qui touche la Corse tout entière n’est pas chose facile. On est continuellement dans un registre qui n’est pas seulement judiciaire mais qui revêt aussi une couleur politique forte. Et les avocats de Colonna sont connus pour avoir des sympathies politiques pouvant les amener à avoir un comportement politique qui parfois éloigne de la recherche de la vérité. Mais, précisément, ces données, connues dès le départ, auraient dû impliquer d’autant plus de vigilance et de rigueur dans la tenue de l’ensemble de la procédure…
Bien entendu, vous ne plaidez ni pour l’innocence ni pour la culpabilité d’Yvan Colonna…
Cela n’est pas du ressort de la FIDH ni de sa compétence. La question qui anime la FIDH, c’est : est-ce que, oui ou non, Yvan Colonna est jugé de manière équitable ? Et si, finalement, il est reconnu coupable, est-ce que cette culpabilité reconnue repose oui ou non sur un strict respect du droit de la défense ?