Auto-entrepreneur : le piège de l’indépendance
Le nouveau régime de l’auto-entrepreneur pose les jalons d’une déréglementation généralisée
du travail. Le rêve ultralibéral devient réalité.
dans l’hebdo N° 1042 Acheter ce numéro
C’est le nouveau remède anticrise du gouvernement. « Alors que tant de clignotants sont au rouge, il y en a un au vert, et même au vert vif : celui du statut d’auto-entrepreneur » , a jubilé Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du Commerce, parti défendre son petit bijou à grands coups d’autopromo largement relayée dans la presse. À en croire le chef de file des libéraux à l’UMP, ce nouveau régime du travailleur indépendant, créé par la loi de modernisation de l’économie, va sauver le pays d’un chômage en passe d’atteindre des niveaux records (voir encadré). Mais, sous couvert de « libérer » l’esprit d’entreprise, le statut d’auto-entrepreneur signe l’arrêt de mort du droit du travail.
Hervé Novelli fait la promotion du statut d’auto-entrepreneur. Guillot/AFP
Depuis le 1er janvier, 67 000 personnes seraient tombées sous le charme de ce régime où l’on peut créer son entreprise par une simple déclaration sur Internet, sans apport de capital, et en étant assujetti à un prélèvement fiscal et social minime [^2]. Un régime qui permet à la retraitée sans le sou de se lancer dans le business de tricots « home made » , à l’enseignant de déclarer les cours du soir qu’il donnait au noir, au chômeur de monter sa baraque à frites pour compléter ses allocations, ou au travailleur pauvre de joindre les deux bouts en travaillant le week-end. Bref, les délices du « travailler plus pour gagner plus » enfin à portée de main !
Mais, derrière ce miroir aux alouettes du « tout entrepreneur » victorieux, se cache une réalité inquiétante. D’abord, qui dit peu de cotisations dit également une protection sociale réduite, qu’il s’agisse de la retraite, de l’assurance-maladie, etc. « Ce statut va profiter aux gens qualifiés et déjà installés professionnellement, qui ont déjà de l’argent, qui cotisent par ailleurs pour leur retraite ou pour le chômage, souligne Vincent Drezet, du Syndicat national unifié des impôts. Mais il y aura surtout un auto-entrepreneuriat subi. » Marina, jeune femme de 36 ans en formation et à la recherche d’un emploi pour arrondir ses fins de mois, en sait quelque chose : « J’ai postulé pour un boulot consistant à remplir des flacons de complément alimentaire. Le DRH ne m’a pas communiqué d’horaires fixes, même s’il fallait travailler sur place. Il m’a simplement dit qu’il ne voulait pas s’embarrasser avec des fiches de paie et des intérimaires. Et qu’il “m’embaucherait” si je prenais le statut d’auto-entrepreneur. » Selon sa conseillère Pôle emploi, Marina serait loin d’être la seule dans ce cas…
Car ce statut ouvre un boulevard aux entreprises désireuses de faire sous-traiter leurs activités à peu de frais. Et sans s’embarrasser du code du travail : pas de salaire minimum puisque c’est l’auto-entrepreneur qui fixe le prix de sa prestation en regard de la concurrence. Pas de charges patronales (elles sont financées par l’auto-entrepreneur lui-même), et pas de licenciement… Le droit du travail n’existe pas pour ces petits patrons. Qu’importe s’ils sont en réalité aux ordres d’un employeur. « On peut se faire payer 4 euros la journée, les inspecteurs du travail ne pourront jamais aller vérifier les abus puisque les travailleurs indépendants ne relèvent pas de leur compétence ! » , relève Marie-Christine Aragon, directrice d’une petite association d’aide à la création d’entreprise. Et si elles occultent le lien de subordination qui existe entre l’entreprise et le « faux salarié » qu’est l’auto-entrepreneur, pas question pour autant d’appeler à l’aide les syndicats ou de recourir aux prud’hommes puisque ce dernier n’est, par définition, pas un salarié…
« On revient aux loueurs de bras du Moyen Âge !, ironise Gérard Filoche, inspecteur du travail. Cette loi est une tentative supplémentaire du Medef pour favoriser le travail indépendant. C’est une machine de guerre pour éradiquer le salariat. » Et pour déguiser avec les habits chatoyants des entrepreneurs ce qui aura tôt fait de devenir un sous-prolétariat.
[^2]: Si le chiffre d’affaires ne dépasse pas un certain montant.