Barack Obama, Hillary Clinton : le grand tournant ?
Hillary Clinton plaide en faveur de la création d’un État palestinien.
La première visite de la secrétaire d’État est bien accueillie au sein de la gauche américaine. Correspondance à New York, Vanessa Gondouin-Haustein.
dans l’hebdo N° 1043 Acheter ce numéro
À l’occasion de sa première visite au Proche-Orient, la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, a dévoilé sa « diplomatie agressive », appelant à un « cessez-le-feu durable » , à la « création de deux États » et à la « protection d’Israël contre les tirs de roquettes » . « Le président Obama et moi-même sommes attachés à réaliser l’objectif de deux États comme solution du conflit entre Israël et les Palestiniens, et nous affirmons notre soutien à l’Autorité palestinienne », a-t-elle annoncé à l’issue de son entrevue avec Shimon Pérès.
Avant d’imposer ses vues aux Israéliens, Barack Obama devra convaincre sa secrétaire d’État Hillary Clinton. Watson/AFP
Dénonçant la destruction par Israël de dizaines de maisons palestiniennes, elle a insisté sur l’avènement « inéluctable » d’un État palestinien, tout en rappelant le « soutien inébranlable et durable des États-Unis à l’égard d’Israël » . La secrétaire d’État a dévoilé la « diplomatie en action » de la nouvelle administration Obama, celle qui consiste à rompre avec ses prédécesseurs en privilégiant l’écoute plutôt que l’action.
À Washington, certains lobbies pro-israéliens s’interrogent sur cet apparent revirement d’Hillary Clinton, connue pour ses positions pro-israéliennes. « Elle a la réputation depuis très longtemps d’être un “faucon conservateur” en politique étrangère, notamment au Proche-Orient. Elle a soutenu la guerre en Afghanistan de l’administration Bush, puis celle en Irak. Elle a voté pour l’envoi de troupes supplémentaires en Irak, puis pour une intervention en Iran », explique Pierre Tristam, journaliste américain spécialiste du Proche-Orient. Mais, selon les journaux américains, la « nouvelle » Hillary Clinton est arrivée. « Elle ne veut pas apparaître comme un faucon conservateur. Elle est intelligente et possède des qualités diplomatiques, analyse Dan Jefferson, chercheur et responsable du département Moyen-Orient à Harvard. E lle est également très douée pour le multilatéralisme et rappelle constamment combien il est important pour les États-Unis de travailler en étroite relation avec les institutions internationales, telles que l’ONU ou l’Union européenne. Elle a rejeté l’establishment de Washington, la politique de Bush père et fils, de Reagan ou… de Clinton. Elle a choisi d’appréhender la diplomatie à sa manière en se concentrant comme Jimmy Carter sur les droits de l’homme, en donnant aux femmes une place importante, et en n’oubliant jamais les réfugiés et les minorités ».
En l’absence d’un gouvernement israélien constitué, et alors que le Président palestinien, en mal de légitimité, est en train de former un gouvernement d’union, la partie est serrée pour Hillary Clinton, venue prendre le pouls dans la région. « Je reste personnellement impliquée. C’est un engagement que je porte dans mon cœur, pas seulement dans mes dossiers », a-t-elle affirmé. Elle a promis que George Mitchell, son envoyé spécial pour le Proche-Orient, reviendrait sur place dès que le nouveau gouvernement israélien serait formé.
Mais le chef du Likoud, Benyamin Netanyahu, est un farouche opposant à la création d’un État palestinien, préférant l’extension des colonies juives en Cisjordanie. Sa victoire augure de difficiles négociations avec Washington, et la possible désignation du chef du parti d’extrême droite Israël Beiteinou (« Israël, notre pays »), Avigdor Lieberman, comme ministre des Affaires étrangères pourrait raviver les tensions entre Palestiniens et Israéliens. Côté palestinien, le manque de légitimité de Mahmoud Abbas, qui a choisi de reporter l’élection présidentielle de janvier 2009 par peur de devoir subir une nouvelle poussée électorale du Hamas, et la démission samedi de son Premier ministre, Salam Fayyad, ne rassurent pas les experts de la Brookings Institution, think tank américain.
« Israël n’a jamais reconnu Mahmoud Abbas comme un partenaire dans le processus de paix. L’État sioniste a, au contraire, continué à étendre ses colonies de peuplement. La victoire de Netanyahu risque de ne pas arranger les choses et de rendre difficiles les relations entre Israël et ses voisins » , analyse le professeur Jefferson. Selon lui, « en annonçant l’envoi de deux émissaires spéciaux à Damas, Hillary Clinton est en train de résoudre le puzzle israélo-arabe ».
En appelant la Syrie à participer aux efforts de réconciliation dans la région, puis en indiquant que la diplomatie américaine doit parvenir à entamer un dialogue avec Téhéran, Hillary Clinton se révèle un excellent stratège. « Cela vaut la peine de faire l’effort d’y aller et d’entamer ces conversations préliminaires » , a-t-elle déclaré. La presse américaine a unanimement salué sa nouvelle chef de la diplomatie. « Peu importe la composition du nouveau gouvernement israélien, probablement plus conservateur que le précédent, Mme Clinton a été claire, les intérêts américains se trouvent dans la création de deux États, dans un plan de paix régional », indique dans un éditorial le New York Times. « Le succès majeur d’Hillary Clinton au Proche-Orient a été sa capacité à sortir la Syrie du rôle de tireur de ficelles des groupes extrémistes en l’invitant à la table des négociations de paix au Proche-Orient. Surtout que Benjamin Netanyahu est réputé pour être plus enclin à parler avec la Syrie qu’avec les Palestiniens », ajoute l’éditorialiste.
Hillary Clinton a-t-elle réussi à imposer son style diplomatique « agressif » qui consiste à ménager « l’ami Israël » et à apporter des « garanties au peuple palestinien » tout en sollicitant de nouveaux partenaires dans les négociations ? Aux États-Unis, les premiers commentaires sont favorables, y compris et surtout parmi les observateurs réellement partisans de la création d’un État palestinien viable. Mais il est bien tôt pour s’enthousiasmer.