Courrier des lecteurs Politis 1042
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Guadeloupe : un homme est mort
Qu’importe la couleur, qu’importent le lieu et l’heure, un homme est mort. Il serait dangereux et caricatural de dire, au vu du contexte, que cette mort a pu être déclenchée, souhaitée, attendue, pour servir des calculs politiques particuliers. Et pourtant… Un système idéologique qui intègre l’existence de laissés-pour-compte au nom de la réussite individuelle. Une organisation politique qui, depuis des mois, finit de déconstruire les outils du lien social et projette de mener cette déstructuration volontaire à son terme. Un gouvernement qui, depuis sa formation, manipule, divise, oppose les intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. Qui se glorifie des enfants exclus, qui cache derrière le masque enjôleur de la réforme sa soumission à une idéologie rétrograde et conservatrice. Un chef de l’État qui doit son élection à la manipulation habile et constante de la peur de l’autre, l’immigré, le jeune, le salarié, tous renvoyés à un droit opposable qui isole l’individu face à la loi du plus fort. Tout n’est-il pas réuni pour cette dérive du pire ? Des questions resteront posées, qui verront les beaux parleurs se draper dans la légitimité républicaine. Pourquoi est-il plus facile de cerner un village de Corrèze que de maintenir l’ordre dans des quartiers délaissés par la République ? Comment peut-on défendre jusqu’à l’aveuglement une idéologie brutale, forme policée de la loi de la jungle, et brandir le voile pudique du bien public, après avoir laissé pourrir depuis des semaines l’expression légitime d’un désir de justice ? Laisser mourir un homme au nom de la défense d’intérêts, ce n’est pas défendre des intérêts, c’est laisser mourir un homme.
Isabelle Chastang,
Henri Clavé, Limoges
La formation des professeurs des écoles
Dans le torrent des réformes touchant l’école primaire, ce n’est pas la masterisation de la formation des futurs enseignants qui a fait le plus de bruit : il a fallu du temps pour qu’apparaissent ses insuffisances et ses dangers. L’ambition du ministre Xavier Darcos est pourtant des plus hautes : « L’enjeu de cette réforme est qualitatif : une meilleure qualité de la formation des futurs enseignants pour assurer une meilleure qualité de l’enseignement délivré à nos élèves. » Face à ce projet, beaucoup se sont contentés de dire (de penser ?) que le master était une bonne chose. Me permettez-vous d’être dubitatif ? Qu’est-ce qui est le plus important ? Le niveau de formation (bac + 5) ou la qualité d’une formation professionnelle dont on sait qu’elle est fondamentale pour bien former les jeunes de demain ? Les deux pourraient aller de pair, me direz-vous. Certes, mais ce qui est sûr, c’est qu’à quelques mois de la rentrée, ce master, construit dans la précipitation la plus grande, n’offre aucune garantie d’une formation meilleure que la précédente et que le pire est probable.
Rappelons que les enseignants du primaire sont actuellement recrutés après une licence et bénéficient d’une année de formation professionnelle. Dans ce cadre, fixé par le ministère, l’IUFM essaie de faire l’essentiel : mettre en place les conditions d’une véritable alternance entre cours théoriques et stages pratiques. Depuis trois ans, à la suite de la réforme du ministre Gilles de Robien (de droite, pourtant !), ces stagiaires bénéficient d’un stage « filé » annuel (ils sont tous les lundis dans une classe), de stages massés en responsabilité (sept semaines réparties en trois + quatre) et de stages de pratique accompagnée dans la classe d’un maître formateur. Ces stages sont préparés, analysés, et les stagiaires sont suivis par un référent. Est-il possible de faire mieux ? Ce n’est pas certain, même s’il est sûr qu’une formation étalée sur deux ans éviterait le risque d’indigestion…
Est-ce à dire que tout est merveilleux à l’IUFM ? Sans doute pas ! Des questions se posent, notamment celle-ci : qui est vraiment légitime pour former à ce métier ? Les maîtres de conférence, par leur connaissance de la théorie et des travaux de recherche ? Les maîtres formateurs (instituteurs partiellement déchargés de leur classe), dont la connaissance du métier est indispensable à une vraie formation professionnelle ? Les deux évidemment, avec des temps de stage, notamment en responsabilité, notoirement insuffisants dans le cadre actuel du master.
Il est à craindre qu’en voulant faire des économies aujourd’hui (les futurs étudiants en master ne seront plus payés, au contraire des stagiaires actuels ; les IUFM, comme les IUT, coûtent plus cher que l’université, etc.), Xavier Darcos n’ait fait que sacrifier l’avenir.
Didier Clech, Brest
Le salaire des patrons
Barack Obama propose de limiter à 500 000 dollars annuels le salaire des patrons, Nicolas Sarkozy s’agite et veut moraliser (mais surtout pas réguler). Je suis un peu étonnée que personne à gauche n’embraye pour obtenir tout de suite la même chose en France. Prenons Sarko à son discours : pourquoi pas une pétition pour exiger la même chose, très vite (en attendant, bien sûr, des jours meilleurs…) ?
Anne-Laure Bacquelot
Vous avez dit « réforme » ?
Mais quand donc les forces politiques et syndicales qui contestent les politiques néolibérales de casse des services publics et du droit du travail cesseront-elles d’employer sans réfléchir le langage forgé par leurs adversaires ? Lorsque j’entends Bernard Thibaud, Benoît Hamon ou même Olivier Besancenot – mais j’aurais pu citer n’importe quel représentant d’une gauche à peu près digne de ce nom (s’agissant des autres, cet emprunt est somme toute naturel…) – parler, même en les contestant et pour les combattre, des « réformes » de Nicolas Sarkozy, il me semble qu’ils ont déjà perdu en partie le combat.
Comment voulez-vous mobiliser, au-delà des militants déjà convaincus, contre des « réformes » ? N’importe quel dictionnaire vous apprendra qu’une réforme est l’action de rétablir dans une forme meilleure. Il me semble pourtant qu’il ne manque pas de termes alternatifs, du plus neutre (mesure) au plus radical (casse) en passant par la référence historique (contre-réforme). Il s’agit en tout cas de reconquérir les esprits, comme les altermondialistes ont su le faire vis-à-vis du terme « antimondialistes », dont on les avait affublés pour les dénigrer. Dans cette reconquête linguistique, la presse a évidemment un rôle essentiel à jouer. À la lecture de l’article de Michel Soudais dans le n° 1040, qui l’emploie à quatre reprises, il apparaît que Politis devra y prendre toute sa part !
Bertrand Eberhard, Paris
Le rôle de l’université
« L’université entre humanisme et marché : redéfinir les valeurs et le rôle de l’université au XXIe siècle », il ne s’agit pas d’un séminaire d’un parti d’extrême gauche, mais du titre de la conférence de lancement d’un projet du Comité directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche du Conseil de l’Europe, en 2007.
« L’université entre humanisme et marché » : ne sommes-nous pas là au cœur des enjeux dans le conflit ouvert entre le gouvernement et le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
Clark Kerr, professeur d’économie californien, écrivait en 2001 : « De toutes les institutions qui existaient dans le monde occidental en 1520, il n’en reste aujourd’hui que 85 : l’Église catholique, les Parlements de l’île de Man, d’Islande et de Grande-Bretagne, plusieurs cantons suisses et quelque 70 universités. »
Cette phrase peut être interprétée comme le signe d’un conservatisme exacerbé des universitaires. Peut-être, mais cela veut surtout dire que l’Université a été capable de résister pendant des siècles aux aléas et aux caprices de l’histoire afin de défendre au mieux, en préservant une indépendance de pensée, quelques valeurs essentielles de l’humanité. Elle a été, jusqu’à présent, l’un des vecteurs principaux d’accès au savoir, à la culture, à la réflexion, progressivement ouverts au plus grand nombre.
À propos des universités françaises, des observateurs parmi d’autres dénonçaient récemment l’ « inadaptation générale de l’Université aux besoins de la société et de l’économie ».
Voilà la question à laquelle les universitaires doivent impérativement répondre : l’Université doit-elle se plier aux besoins de la société et de l’économie ? Pourquoi pas ? serait-on tenté de répondre. Mais à ceci près : quels sont-ils, les besoins dominants de la société et de l’économie ? N’est-ce pas consommer, vendre, acheter, engranger des devises dans le mépris et la domination des plus faibles et de la nature ?
Dans le cadre des réformes de l’enseignement supérieur, largement engagées par le gouvernement, on nous demande donc d’accepter une université plus performante car plus autonome, y compris financièrement, et dirigée par un président aux pouvoirs fortement élargis. Mais une université autonome dirigée par un président/PDG, et de laquelle l’État s’est désengagé, sera dans l’incapacité de résister aux lois de l’économie en vigueur. Pour garantir l’existence même de ces universités, les universitaires n’auront d’autre choix que d’abonder dans un type de fonctionnement qui sera dicté par le monde économique du moment, dont on connaît la finalité, et qui assurera une part croissante de leur financement.
Les universitaires n’auront également d’autres choix que de former des étudiants directement opérationnels pour faire fonctionner ce monde déshumanisé qui va droit dans le mur.
Que choisissons-nous de défendre au sein de l’université : humanisme ou marché ?
Gilbert Féraud,
directeur de recherche au CNRS