Courrier des lecteurs Politis 1044

Politis  • 19 mars 2009 abonné·es

Pic de la Mirandole, cet érudit italien du XVe siècle, était un cas unique dans l’histoire… Jusqu’au moment où est apparu Sarkozy ! Mais notre président, omnipotent parce qu’omniscient, se métamorphose peu à peu en Père Ubu.

Pierrette Payssot, Grenoble

Madeleine Rebérioux

Je regrette énormément que, dans votre long article « Trois vies pour une femme », paru dans Politis n° 1040, vous omettiez de mentionner que Madeleine Rebérioux avait créé le groupe « Trop c’est trop » au sein de la Ligue des droits de l’homme, afin de défendre la justice en Palestine aux côtés de Pierre Vidal-Naquet, Raymond Aubrac, Étienne Balibar et d’autres, dont Stéphane Hessel, par exemple. Trop c’est trop ne fut qu’un groupuscule et n’atteignit pas les buts qu’il s’était, je pense, fixés : faire évoluer la pensée dans la diaspora juive parisienne, ce qui eût pu amener Israël à infléchir sa politique vis-à-vis des Palestiniens, vis-à-vis du respect du droit tout court ! Ce petit groupe éditait un fascicule à dates irrégulières, mais toujours intéressant. […] Ce fut le dernier combat de Madeleine Rebérioux, en droite ligne de ce que furent sa vie et ses engagements. À sa mort, ce fut la même chose : tous les articles écrits en sa mémoire oubliaient Trop c’est trop (qui nous manque beaucoup aujourd’hui). Elle était courageuse, n’hésitant pas à passer outre la doxa commune en milieu universitaire.

Mme Manuellan, Paris

La « masterisation » des enseignants

Étudiant en seconde année de lettres modernes à Bordeaux, je suis depuis longtemps un fervent lecteur de Politis  […].
Mais, depuis quelques semaines, je suis choqué […] de constater que votre rédaction semble ignorer, comme le font les médias vendus au gouvernement, la principale revendication de la mobilisation universitaire : le combat contre le projet de réforme de la formation des enseignants, dit « masterisation ».

Car les enseignants-chercheurs, s’ils sont mobilisés depuis novembre pour quelques-uns, depuis cinq semaines pour le gros du mouvement, ne le sont pas spécifiquement pour leur statut (dont les changements affecteraient d’ailleurs beaucoup les étudiants, qui auraient devant eux les « moins bons » chercheurs, surchargés d’heures de cours…), mais davantage pour ce gros mot qu’est « masterisation ». Cette réforme remet totalement en question ce qu’est le savoir en France, et amènera, c’est évident, une réelle dégradation de celui-ci et des conditions de l’enseignement, pour les profs comme pour leurs élèves. Ce qui se passe en ce moment dans les universités est un combat fondamental pour notre société. […] Les textes eux-mêmes, ou leurs analyses sur les sites de Sauvons la recherche ou Sauvons l’université, sont explicites. Non, les enseignants-chercheurs ne se battent pas uniquement pour leur statut. […]
La vérité est qu’en ce moment les étudiants et enseignants mobilisés dans les facs tentent de repenser le modèle de l’université française. Car si nous nous battons pour annuler deux réformes et que nous retournons sagement en cours, nous nous battrons à nouveau l’an prochain, lorsque les mêmes projets, sur d’autres plateaux et avec une autre garniture peut-être, nous serons resservis. Ce ne sera que la troisième année de suite.
Sachez enfin que beaucoup de mouvements communs pour l’éducation se sont créés dernièrement, de la maternelle à l’Université, pour montrer que toutes les réformes se situent dans une même perspective, cohérente et homogène, de dégradation de l’enseignement – seule manière de faire des économies dans le domaine de l’éducation. […]

Je vous demande donc de venir dans nos universités voir réellement ce qui s’y passe, afin que tout le monde connaisse les enjeux réels pour lesquels nous luttons. Nous sommes fatigués, mais j’ai la naïveté de croire que nos efforts remettront le savoir à la place qu’il mérite.

Et j’espère aussi pouvoir de nouveau me réjouir en recevant mon numéro de Politis.

Lénaïc Lecrenais
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Marche des Beurs

Le n° 1029 de Politis a consacré un dossier à la marche des Beurs de 1983. […] Je voudrais témoigner d’un fait précis : lorsque les marcheurs sont arrivés à Valence pour y faire étape et que nous sommes allés à leur rencontre, Bernard Langlois les accompagnait. Le jour même, a été organisée avec eux une soirée qu’il a entièrement animée avec brio. Nous lui avons été très reconnaissants de la qualité de sa présence et du dévouement qu’en cette occasion il a manifesté à cette cause. Je ne sais pas ce qu’il a fait par la suite et quelle part qu’il a eue dans le succès de l’entreprise. Je voulais seulement, après tant d’années, lui dire, par le truchement de Politis, qu’il nous a laissé un beau souvenir.

Georges Apap

« Combien de divisions ? »,

s’interroge Denis Sieffert dans le n° 1042 de Politis. À combien peut-on évaluer les citoyens qu’on peut regrouper sous l’appellation « Front de gauche » ? […] Ce pourcentage n’est pas marginal, il est seulement minoritaire. Heureusement, nous pouvons quand même espérer « peser » sur les socialistes (qui sont à gauche de la droite, elle, majoritaire dans le pays et aux commandes gouvernementales). Penser qu’on peut peser est bon pour le moral, mais force est de constater que notre nombre ne fait pas le poids pour arriver aux commandes et construire « un autre monde ». D’ailleurs, combien de députés à gauche de la gauche et chez les écologistes ? Être minoritaire n’est absolument pas une tare ; c’est seulement avoir conscience que nos bonnes idées ne sont pas assez connues, que trop peu de gens les considèrent comme attrayantes, réalistes, réalisables, votables efficacement (vote utile). […]
Nos idées, nos projets, nos ambitions sont très, très divers. Trop divers ? Nous pouvons encore, heureusement, nous réjouir de tant de diversité : ce foisonnement de points de vue, d’utopies, de combats est signe de richesse et de complémentarités. Mais, au final, toutes nos chapelles morcellent nos activités. Nos projets dispersés sont inaudibles, imperceptibles (je n’ai pas dit insignifiants !).

Alors, Politis dans tout ça ?

Bravo évidemment de vouloir unir, réunir ce qui fait notre spécificité (et faiblesse) française (la division). Mais le journal doit-il y consacrer des pages et des pages ?
À mon avis, Politis doit surtout être didactique, expliquer, décrypter, publier des infographies (pas seulement des tribunes de conseil scientifique de ceci et cela, très souvent absconses). Politis doit donner à voir ce que vivent les gens, les groupes tels que les ouvriers, les techniciens, les employés, les étudiants, les profs, les pêcheurs, les paysans. Donner à voir ce que des gens des pays du Sud, d’Europe, du monde font, eux aussi. Il serait bon d’augmenter les reportages.
En revanche, les guéguerres de chefs des très nombreuses petites chapelles et partis (y compris le NPA, le PCF et le PG), dont les paroissiens au total ne totalisent sans doute pas 20 % des Français, électoralement parlant, combien de pages dans Politis ?

Georges Duriez, Lyon

De l’imposture des mots

Le courrier de J.-P. Canévet, intitulé « Le parcours de soins » ( Politis n° 1040) est marquée d’une certaine naïveté et d’une idéalisation du « parcours de soins » via le « médecin traitant ». Comme son argumentaire intériorise, sans doute involontairement, les mots du pouvoir comme « responsabilisation », mot qui signifie en réalité « culpabilisation » et « pénalisation financière » des malades, cela l’amène à formuler une erreur d’interprétation de ce que vivent les malades, bien que par ailleurs, et paradoxalement, il défende la médecine générale et l’accès gratuit aux soins. L’article de Politis « Économies dangereuses », paru dans Politis n° 1038 met bien en exergue la non-prise en compte par Mme Bachelot et par l’ensemble des politiques publiques menées depuis plus de trente ans, de la réalité des inégalités sociales de santé et d’accès aux soins.
Le législateur veut avant tout punir pour faire des économies, ce qui est à mille lieux de la réalité de la pratique honnête de la médecine générale, qui est d’écouter les patients et de prodiguer les soins les plus adaptés à leur santé, à leurs maladies, à leur milieu de vie, à leurs représentations culturelles et à l’offre de soins, dans un « parcours » qui existe depuis que la médecine existe, avec des correspondants qu’il s’agit d’identifier dans l’intérêt des patients : on est loin du contrôle social. Au Syndicat de la médecine générale (SMG), c’est ce dont nous sommes conscients et qui nous fait dire que cette loi n’est pas bonne puisqu’elle est vécue ainsi par les gens, comme une punition. Ce qui préoccupe les patients qui s’inscrivent dans le « parcours de soins », c’est la peur de ne plus être remboursés ou d’être très mal remboursés des consultations. Finalement, très peu de gens « consomment » du spécialiste en direct ou « à tort et à travers ». D’autre part, il nous est intolérable qu’au moment où nous pensons la profession en termes de regroupement des compétences (maisons et réseaux de santé), le gouvernement nous ponde un « parcours de soins » individualisé, argument qui renforce l’aspect répressif de la loi.
Cette imposture des mots entrave volontairement la critique du système.


Rappel historique

La loi Douste-Blazy du 13 août 2004 de réforme de l’assurance-maladie n’a pas instauré que la filière répressive obligatoire « médecin traitant ». « Zoom arrière » sur ses autres mesures répressives :
• Création d’un forfait d’un euro pour tous les actes médicaux et de biologie (sauf femmes enceintes, enfants et patients en CMU), non remboursable, plafonné à 50 euros par an (en théorie) et pénalisant les patients atteints d’une ALD et ceux pris en charge en accident du travail et maladies professionnelles (jusque-là couverts à 100 %) (art. 20).
• Création d’un Comité d’alerte chargé de diminuer les remboursements si l’Objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), mis en place en 1995 par le plan Juppé, et voté par le Parlement chaque année, est dépassé.
• Droit aux dépassements d’honoraires pour les spécialistes consultés sans prescription préalable du « médecin traitant » (art. 8) (sauf dans le cadre des protocoles de soins).
• Majoration appliquée aux patients consultant un médecin hospitalier sans prescription du « médecin traitant », sauf pour les actes relevant d’un protocole de soins et ceux réalisés dans le cadre de l’urgence (art. 8)
• Imposition de protocoles de soins rigides et restrictifs (art. 35) élaborés par la Haute Autorité de santé, en particulier pour les patients en ALD, les associations de patients n’étant pas de droit partenaires dans l’élaboration des protocoles de soins.
• Mise en place du Dossier médical personnel informatisé (DMP), obligatoire pour les patients et les médecins (art. 3), censé économiser des « examens redondants » (sic !) et « coordonner les soins » (résic !), en réalité aux antipodes de la notion de coordination, véritable outil délétère de contrôle social et économique, d’atteinte aux libertés et, depuis que de l’eau a coulé sous les ponts, un véritable fiasco pour les deniers publics (plus de 5 milliards d’euros au moins partis en fumée dans l’administration et la gestion des expériences pilotes du Groupement d’intérêt public du DMP) ( Voir *Politis n° 1040 : « Le dossier médical en réanimation » ; et « Guide pratique : contre les méfaits de la réforme de l’assurance-maladie », Pratiques, les cahiers de la médecine utopique, n° 29, avril 2005.* ).

Cette réforme, prétendument justifiée pour éviter le nomadisme médical, mythe reconnu par l’Assurance-maladie elle-même [^2], n’a été qu’un leurre de plus.

La convention médicale signée entre seulement trois des syndicats de médecins libéraux et l’Uncam, le 11 février 2005, a mis en musique cette loi, a précisé le droit aux dépassements d’honoraires pour tous les spécialistes (une usine à gaz tarifaire, avec plus de treize tarifs différents selon que le patient est « dans » ou « hors parcours de soins ») et a sonné la fin de l’option « médecin référent » créée à la fin des années 1990 (droit au tiers payant, rémunération forfaitaire, formation médicale indépendante).

La boîte de Pandore est ouverte, Nicolas Sarkozy, élu président en 2007, pourra faire accepter plus facilement en 2008 les franchises dites « médicales » sur les transports sanitaires et les boîtes de médicaments, non remboursables : « Qui ne peut pas payer quelques euros de plus pour les malades Alzheimer » , larmoyait-il à Pau en juillet 2007 dans les allées d’une maison de retraite ?

En juillet 2008, ce sera aussi plus facile de taxer d’un milliard d’euros les mutuelles, ce qui aboutira en 2009 à l’augmentation de nos cotisations de mutuelle.

Les conséquences des lois qui se sont succédé ces dernières années ont abouti à bien soigner les médecins dans leur ensemble, surtout les spécialistes, mais aussi les lobbies médicaux et assurantiels, grâce à un transfert financier des poches des malades vers les poches des médecins et celles des firmes pharmaceutiques, via le remboursement si peu contrôlé des médicaments par les caisses d’assurance-maladie.
Le pouvoir a imposé de faire toujours plus payer les malades, sous couvert de responsabilisation, il a acculé un grand nombre d’entre eux à renoncer aux soins.

La responsabilisation , un des mots favoris des politiques néolibérales, en particulier de Claude Bébéar, ex-patron d’Axa et responsable de l’Institut Montaigne, think-tank dont la prose est régulièrement publiée dans les colonnes du Quotidien du médecin, journal financé par les laboratoires pharmaceutiques et distribué gratuitement dans tous les cabinets libéraux de médecins en France.

Les réformes du système de soins comportent beaucoup de couleuvres à avaler pour ceux qui pensent qu’elles sont un progrès social pour tout le monde et pour la médecine générale en particulier.
Cette politique n’aurait pu se faire sans le point de départ de la réforme de 2004, qui a transformé un taux fixe de remboursement « conventionné » en l’indexant aux variations des dépenses d’assurance-maladie. Comme celles-ci augmentent sans cesse, le taux de remboursement diminue sans cesse selon cette logique.
Il fallait habituer progressivement les gens à accepter de se faire rogner leur argent, 1 euro après l’autre, jusqu’à les dépouiller, ce qui aurait dû être perçu par eux-mêmes comme inacceptable. La politique de com du gouvernement a fonctionné, y compris dans les milieux syndicaux et politiques.

Pourquoi le SMG s’est opposé à la réforme Douste-Blazy

Le SMG s’est opposé à cette réforme, non pas parce que nous sommes contre la médecine générale, contre les médecins de famille, contre les médecins traitants (avant que M. Douste-Blazy instrumentalise notre métier et le nom qu’il porte), contre notre reconnaissance, contre le développement de notre filière universitaire, contre la revalorisation et la diversification de nos revenus, nous ne sommes pas masochistes. Non, nous sommes, avec J.-P. Canevet, les partisans des soins primaires au sein desquels la médecine générale a sa place avec d’autres professionnels médico-sociaux.

Le SMG s’est opposé à la réforme Douste-Blazy parce que nous l’avons lue dans le contexte socio-historique et économique global qui l’a fondée. Elle a entériné le rapport Chadelat sur la part croissante accordée aux assurances complémentaires individuelles au détriment de la solidarité représentée par la dépense socialisée de l’assurance-maladie, ce qui aboutit progressivement à sa privatisation.

Le SMG s’est opposé à cette réforme parce que conditionner le niveau de remboursement au choix d’un « médecin traitant », c’est l’inverse de la solidarité et de l’égalité, et c’est contre-productif en termes de citoyenneté.
Le SMG s’est opposé à la réforme Douste-Blazy parce que nous refusons de vivre dans une société répressive, normative, formatée, où l’individu n’est plus acteur de sa vie mais pieds et poings liés au biopouvoir, décrit par le philosophe Michel Foucault. L’instrumentalisation des médecins et des patients par ce type de pouvoir est inacceptable.

Patrick Dubreil, président du SMG, Christian Bonnaud, ancien président du SMG, chargé de la communication avec les personnes extérieures via le site du SMG.

[^2]: « nomadisme médical : un mythe ou une réalité ? », étude de l’assurance-maladie sur le site .

Courrier des lecteurs
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