Crimes de guerre, oui ; génocide, non
Le président soudanais Omar el-Béchir est sans aucun doute coupable de « crimes de guerre ».
Mais le conflit donne lieu, côté occidental, à des interprétations fortement idéologisées.
dans l’hebdo N° 1044 Acheter ce numéro
Depuis que le président-dictateur Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 1989, a été inculpé par la Cour pénale internationale (CPI), les Nations unies et les ONG polémiquent sur le nombre des victimes au Darfour et sur la qualification de génocide. Laquelle n’a pas été retenue par le procureur de la CPI. D’abord, il est difficile de chiffrer les morts dans cette immense province plus grande que la France : entre ceux tués par des opérations militaires, ceux massacrés par les cavaliers arabes connus sous le nom de Janjawids et les morts de maladies et de malnutrition au cours de leur errance, de leur fuite vers le Tchad ou dans les camps sommaires aménagés au Darfour même, la fourchette va de 180 000 à 300 000.
Omar el-Béchir préside une manifestation le 12 mars à Khartoum contre la Cour pénale internationale. Shazly/AFP
Ensuite, humanitaires, politiques et gouvernements ont tendance à abuser de la notion de génocide. Ayant séjourné à deux reprises au Darfour et côtoyé aussi bien les membres et chefs de la guérilla que les victimes civiles ou les Janjawids, je reste persuadé que les incriminations de crime de guerre, voire de crime contre l’humanité, sont plus appropriées.
L’accusation de génocide, si l’on excepte Bernard Kouchner, n’est portée depuis des années que par des parlementaires américains et le mouvement Save the Darfour, créé aux États-Unis par l’American Jewish World Service et l’Holocaust Memorial Museum. Les Américains, malgré la forte odeur de pétrole du conflit, ne s’étaient pas autant mobilisés entre 1983 et 2004, lors de la terrible guerre civile qui a opposé au Sud-Soudan le pouvoir central et les troupes de l’Armée populaire du Soudan, menée par le colonel John Garang. Un de ces chefs de guerre africains qui a inventé les enfants soldats. Après la mort du colonel dans un curieux accident, quelques mois après la signature de la paix, il reste de ce conflit, qui opposait chrétiens et animistes du Sud-Soudan aux musulmans du Nord, une région ravagée. Sans vraiment perturber ce pays de 2,5 millions de kilomètres carrés, le plus grand d’Afrique, dont la capitale, Khartoum, reste toujours à des années lumières de ses troubles internes.
Contrairement aux forces en présence dans la guerre du Sud, qui a débouché sur un vague fédéralisme, tous les protagonistes du conflit au Darfour sont musulmans : les membres de l’ethnie persécutée, les agriculteurs noirs Zaghawas, comme ceux qui les attaquent. Qu’il s’agisse des militaires qui bombardent villages et cultures ou des « cavaliers » recrutés chez les éleveurs.
Cette opposition du sédentaire et du pasteur est séculaire, mais exacerbée par la situation politique du Soudan et la volonté de la Chine d’exercer un contrôle sur une région potentiellement riche en pétrole.
Circonstances aggravantes : les effets du réchauffement climatique réduisent peu à peu les espaces cultivables et les surfaces de pâturage. Parcourir les villages dévastés jusqu’aux greniers à semences, voir les champs littéralement « effacés » du paysage permet de mesurer l’étendue des dégâts, de comprendre le désespoir des réfugiés qui survivent dans les camps du Darfour, d’où les ONG sont peu à peu expulsées. Ils sont probablement plus d’un million ; et ceux qui ont réussi à gagner les camps installés au Tchad, plus de 200 000. Tous venus depuis 2003, année qui marque le début de la rébellion menée par le Mouvement de libération du Soudan et le Mouvement pour la justice et l’égalité. Deux partis fortement armés et équipés d’une flotte de pick-up Toyota constamment renouvelée. Ils ne font pas plus dans la dentelle que l’armée régulière, mais sont très doués pour les relations publiques avec la presse.
Pour l’Union africaine, les Chinois, les Américains, les Libyens, la France et l’Europe, qui n’a guère envie de poursuivre le déploiement de ses « forces de paix », la situation au Darfour n’est qu’un jeu pervers autour du pétrole. Quel que soit le nombre des morts, ce sont les Zaghawas, au Soudan comme d’ailleurs au Tchad, où veillent les militaires français, qui font les frais d’une guerre civile et d’un grand cirque international. Ce n’est pas un génocide, juste de la géopolitique…