Durban II ou Durban zéro…
dans l’hebdo N° 1045 Acheter ce numéro
On se souvient du scandale. En septembre 2001, à Durban, la troisième session des Conférences mondiales contre le racisme s’était achevée dans le chaos. Au cœur du débat, cette question : le sionisme est-il raciste ? Alors que les États-Unis et Israël avaient claqué la porte déjà depuis plusieurs jours, la Conférence adoptait finalement un texte modéré dans lequel les participants se disaient prudemment « préoccupés par le sort du peuple palestinien vivant sous l’occupation étrangère » , et reconnaissaient son « droit inaliénable à l’autodétermination et à la création d’un État indépendant » . La tempête, en revanche, ne s’était pas apaisée dans le forum des ONG qui se tenait parallèlement à la Conférence. Leur texte final qualifiait bel et bien Israël d’ « État raciste », l’accusait « d’actes de génocide » et d’ « apartheid » . La foire d’empoigne qui s’ensuivait donnait lieu à des débordements incontestablement antisémites. Plusieurs ONG importantes, parmi les six mille présentes, s’étaient d’ailleurs désolidarisées de certaines formulations. Mais faut-il rappeler le contexte ? En Israël, Ariel Sharon était à la tête du gouvernement depuis le mois de février. Il avait décrété que Yasser Arafat n’était plus un partenaire pour la paix. Dans les territoires palestiniens, la deuxième Intifada était à son point culminant. Et, deux jours après la clôture, les attentats contre les tours jumelles de New York allaient favoriser une lecture a posteriori des événements de Durban. Le « choc des civilisations », longtemps prophétisé par des oiseaux de mauvais augure, avait fini par prendre quelque consistance.
Près de huit années se sont écoulées depuis cette double réunion houleuse, et nous voilà à trois semaines d’une nouvelle conférence de l’Unesco, baptisée « Durban II », quoique convoquée à Genève. Un groupe d’experts met la dernière main ces jours-ci à un projet de déclaration finale qui écarte, nous dit-on, tous les sujets qui fâchent : plus un mot ou presque sur le Proche-Orient, ni sur le concept de « diffamation des religions » , cher aux pays musulmans. Dans leur coupable prudence, les rédacteurs de ce nouveau texte auraient même retiré toute allusion aux discriminations contre les homosexuels. La session de 2001 hurlait sa colère de façon erratique ; celle de 2009 va-t-elle s’imposer un silence pesant ? Le but étant de faire revenir à l’intérieur de la salle Israël, les États-Unis et l’Italie, qui ont annoncé leur intention de boycotter la conférence, et de convaincre l’Union européenne d’y rester. Mais, en politique, même le silence ayant un sens, cet escamotage serait interprété par le monde arabo-musulman comme une nouvelle manifestation de l’immunité dont bénéficie Israël. Ce ne serait pas Durban II, mais « Durban zéro ». Un comble alors même que les gouvernements israéliens viennent de mener, en trois ans, deux terribles offensives, contre le Liban et contre Gaza, qui ont coûté la vie à près de deux mille civils écrasés sous les bombes.
Et une Conférence sur les droits de l’homme ne dirait rien de ces exactions alors même que la plus terrible des accusations vient de l’intérieur du pays avec ces témoignages de soldats parus jeudi dernier dans le quotidien Haaretz ? Assassinats sommaires de femmes et de vieillards, destructions gratuites, actes de vandalisme y sont décrits quelques jours après que des ONG israéliennes eurent rendu publics des récits similaires, et avant qu’un expert de l’ONU, Richard Falk, ne les rejoigne. Le bilan, d’ailleurs, ne laisse guère de doute sur les objectifs d’Israël, qui ne se limitent pas aux seuls « activistes » du Hamas. Soit, objectent les partisans d’un silence consensuel, mais où est donc le racisme dans tout ça ? La réponse ne devrait pas être sujet à controverses. On peut toujours vouloir contourner les mots, être « politiquement correct », mais le racisme n’est jamais très loin d’une entreprise coloniale. Quelle qu’elle soit. Comment pourrait-on persister à croire à la triste fable des dégâts collatéraux quand les neuf dixièmes des victimes sont des civils ? Et comment concevoir comme légitime que l’on détruise massivement des habitations arabes pour bâtir sur leurs ruines 72 000 nouveaux logements pour les colons ? Cette indifférence d’État n’est-elle pas le fruit vénéneux d’un racisme insatiable ?
Mais le problème n’est évidemment pas de le dire ou de le hurler dans une conférence condamnée à être un exutoire, mais de faire partager cette évidence par le plus grand nombre pour que les consciences bougent. Et c’est ici que le débat commence. Il ne s’agit ni d’oublier les persécutions des autres minorités sur la planète, y compris bien sûr au sein du monde arabo-musulman, mais de reconnaître la centralité du conflit israélo-palestinien, ses effets dévastateurs bien au-delà du Proche-Orient. La prochaine conférence dite « Durban II » est-elle le meilleur lieu pour cela ? Sinon, à qui le dire ? Et dans quelle instance ? Les belles âmes peuvent toujours s’émouvoir que ce conflit submerge tous les autres ; et que les pays du « Sud », loin eux-mêmes d’être irréprochables, y prennent une revanche désordonnée. Comment pourrait-il en être autrement quand les autres instances internationales, le Conseil de sécurité, par exemple, aux mains des grandes puissances, verrouillent toute velléité de critique et toute possibilité de sanction depuis 1967 ?
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