Échos de Narbonne
Autour d’un film de Jean Eustache, Henri-François Imbert signe un documentaire, « le Temps des amoureuses »,
qui fait résonner le passé et le présent.
dans l’hebdo N° 1043 Acheter ce numéro
Le nouveau film d’Henri-François Imbert pourrait commencer par ce vers célèbre de Mallarmé : « Un coup de dés, jamais, n’abolira le hasard. » Non seulement parce que l’existence même du Temps des amoureuses tient à une rencontre fortuite. Mais parce que le film avance selon le jeu des associations, des coïncidences et des découvertes.
La rencontre : dans un café de Narbonne, Henri-François Imbert fait la connaissance d’un homme, Hilaire, qui, trente ans plus tôt, a joué dans Mes Petites Amoureuses, de Jean Eustache, tourné dans cette ville, où le cinéaste lui-même a habité, de même que les grands-parents d’Henri-François Imbert. La rencontre avec Hilaire est suffisamment forte et l’évocation des Petites Amoureuses pleine de résonances intimes et cinéphiliques pour déclencher une envie de film chez Imbert.
Le Temps des amoureuses peut faire songer au récent Retour en Normandie, de Nicolas Philibert, qui retrouvait les comédiens amateurs ayant joué, adolescents, dans Moi, Pierre Rivière, de René Allio. Là aussi, Hilaire raconte les histoires du tournage de Mes Petites Amoureuses , il échange des souvenirs avec ceux de ses copains qui y ont joué avec lui, retrouve devant la caméra d’Henri-François Imbert celui ou celle qui était perdu de vue. Les photos du tournage ou l’affiche du film, retrouvées chez des revendeurs à Paris, agissent autant sur l’imaginaire du spectateur qui n’aurait pas vu le film d’Eustache (dont Imbert ne montre intelligemment aucun extrait) que comme agents de la mémoire. Pour tous, le tournage a été un moment inoubliable, particulièrement pour Hilaire, marqué par la confiance qu’Eustache accordait à ces adolescents indociles. Il suppose que cette attitude n’a pas été sans influence sur son choix de devenir éducateur. Henri-François Imbert montre cet homme à son tour attentif aux autres, soucieux de transmettre, dans son métier comme dans sa nouvelle passion : la chanson.
Ainsi le Temps des amoureuses est moins tourné vers le passé que sensible au temps qui a passé. Il n’est pas si étonnant dès lors qu’Henri-François Imbert filme les jeunes dont s’occupe aujourd’hui Hilaire, et qui s’interrogent, avec fatalisme, sur leur avenir. Ou qu’il insère un petit film tourné quand il était enfant, en vacances de neige. Même si le cinéaste n’écarte pas les déterminants de chaque époque, il fait le constat d’une énigme, celle de la présence au monde et du devenir dans ce monde. Il le fait en poète, attentif à la fragile vibration des signes, des images et des sons. Et aux échos insoupçonnés qu’ils produisent.