En vrac

Bernard Langlois  • 12 mars 2009 abonné·es

RTT présidentielle

Pendant que notre Seigneur (avec sa douce princesse) peaufine son bronzage au soleil mexicain (aux frais de la princesse, une autre…), espérant justifier aux yeux des Français plongés dans la crise son escapade amoureuse par l’obtention d’une faveur de son homologue et hôte (à savoir une mesure de transfert d’une compatriote engeôlée qui crie son innocence – un joli coup à faire pleurer Margot, si ça marche ; avec quelle contrepartie, nous n’en saurons sans doute rien : peut-être quelques hélicos antiémeute à prix cassés, des caméras de surveillance, des trucs du genre, le peuple mexicain est assez remuant par les temps qui courent…) ; pendant, donc, la RTT présidentielle, quelques mini-événements ou mauvaises nouvelles ont affecté la vie quotidienne des Français, du moins de certains d’entre eux.
J’en ai relevé quelques-uns, que voici en vrac.

– Drôle d’aventure arrivée à une classe de troisième du collège de Cenon, en Gironde (drôle est une façon de parler) : encadrés par deux professeurs, ces collégiens revenaient d’une visite à l’Assemblée nationale, suivie d’un détour par le Louvre, avant de reprendre leur train gare Montparnasse quand ils ont subi une charge de CRS. Ils n’étaient pas visés, les flics coursaient apparemment des manifestants étudiants engouffrés dans la gare ; mais ils étaient sur le passage, a-t-on idée ! Blessures légères, contusions diverses (dont une des accompagnatrices), mais surtout choc émotionnel pour ces gamins, dont la leçon d’éducation civique a ainsi été complétée de façon bien concrète !

– Mauvaises nouvelles de la santé de Jean-Marc Rouillan, toujours en prison aux Baumettes, dans des conditions de grande sévérité (pourquoi lui a-t-on enlevé son ordinateur, alors que l’écriture est sa seule façon de tenir ?). Début février, le tribunal de l’application des peines a rejeté sa demande de libération conditionnelle (on se souvient qu’il avait été réincarcéré à la suite d’une interview dans L’Express pour trois phrases banales montées en épingle sur le rôle de la violence dans l’Histoire… comme si à 56 ans, dont vingt-deux ans en prison, l’ex-chef d’Action directe constituait encore une menace pour l’État français !). Bref, Rouillan est malade (pneumopathie soignée avec retard), tout comme son compagnon Georges Cipriani, détenu lui à Ensisheim. Tout le monde s’en fout, ou presque tout le monde  [^2].

– Comme tout le monde, ou presque, se fout du sort de Julien Coupat, l’improbable « terroriste » champêtre et ferroviaire de l’épicerie de Tarnac (Corrèze), toujours maintenu en détention sur un dossier qu’on dit vide, comme s’il s’agissait de justifier l’excès de zèle d’une police trop pressée et de sauver la face d’une ministre de l’Intérieur aux déclarations aussi ronflantes que mal étayées (nouvelle décision sur sa remise en liberté, qu’on espère favorable, de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris ce vendredi 13. Porte-bonheur ?).

Pression

Trois exemples, auxquels on pourrait ajouter des dizaines de petits faits (divers) de la répression ordinaire en vigueur dans la France de Sarkozy. Des faits (divers) qui font parfois quelques lignes dans les journaux – tels heurts entre ados et forces de l’ordre ici ou là, telle course-poursuite ailleurs qui se termine par un accident mortel, telle descente de police avec jets de gaz lacrymogènes dans un bar un peu bruyant ailleurs encore, ou tel contrôle de police arbitraire et perquisition à seules fins d’intimidation. Sans parler des suicides en série dans les prisons immondes (régulièrement dénoncées par les instances européennes) de la patrie des Droits de l’homme, ou ceux de flics, presque aussi nombreux (qui craquent tant on les presse de « faire du crâne » , ou de la GAV), dans des commissariats à peine moins crasseux.

La pression est telle, sur le policier de base mis à toutes les sauces, mais aussi sur les responsables de l’ordre à plus haut niveau (l’une expliquant l’autre), que chaque déplacement de notre ubuesque Président sur le territoire français (enfin : là où il peut encore aller ; ni en banlieue un peu chaude, ni aux bouillantes Antilles, apparemment !) mobilise des centaines d’hommes fringués martiens, tenus de former un cercle de sécurité d’une ampleur telle qu’on ne puisse surtout pas perturber, ne serait-ce que de la voix, du geste ou de la pancarte, les augustes discours du Prince entouré de sa Cour de clowns blancs.

Chaque déguisé à feuille de chêne se souvient des sanctions qui ont frappé tel ou tel de la corporation jugé trop laxiste (ah, ce qu’on est bien, se disent les préfets – mais aussi les ministres et tout le personnel de l’État –, quand il va se dorer à l’étranger, comme on est peinards, si seulement il pouvait y rester !) et, c’est humain, fait ce qu’il faut jusqu’à l’excès de zèle pour échapper aux foudres du Jupin tonnant de l’Élysée.

Rêve général

Il y a, dans ce délire répressif ordinaire  [^3], une volonté évidente de criminaliser la contestation et l’activité politico-syndicale. Bien sûr, pas celle des bonzeries qui ont pignon sur rue : la gaugauche solférinienne ou le syndicalisme d’accompagnement,
« de proposition » , comme ils disent
( « – Tiens, je propose une nouvelle manif’ traîne-savates fin avril, quèque t’en dis, Nicolas ? » « – C’est bon, ma couille, Soubie est d’accord, vois avec le chevelu si ça colle. » ). On parle des vrais contestataires, de ceux qui ont la rage au ventre et rêvent de faire aussi bien en métropole qu’en Guadeloupe. Comme le dit Samuel Holder sur son site Culture et Révolution, de belle tenue, je vous le recommande : « Vous imaginez quinze millions de personnes descendant dans la rue en France à partir du 19 mars et ne voulant pas reprendre le travail avant d’avoir arraché au Medef et à l’État une série de concessions substantielles concernant des revendications vitales pour notre pouvoir d’achat, notre emploi, notre logement et nos droits ? Rêve utopique ? »

« Bien des éléments forcent l’admiration dans le mouvement en Guadeloupe. La population a eu la détermination et le talent d’amener 49 organisations syndicales, politiques et associatives à prendre totalement en compte leurs aspirations bien avant la grève et à accepter son contrôle y compris pendant les négociations. Elle a eu la force d’aller jusqu’au bout de ses possibilités, qui ne sont d’ailleurs pas épuisées, sans que cette unité incarnée par le LKP ne soit lézardée ou sabotée par des notables, des bureaucrates, des peureux trahissant le mouvement à la première difficulté ou des sectaires faisant bande à part… »
Rêve général, hein ! Voilà en tout cas bien pointé du doigt (les notables, les bureaucrates, les peureux et les sectaires : ça fait du monde) ce qui rend la chose difficile. Aurons-nous la force de l’imposer, en dépit de ?

CM2

Passons à autre chose, pour finir (mais sans trop nous éloigner, il est toujours question et de culture et de révolution) : une colère d’Alain Borer, rimbaldien de haut vol (et type délicieux dans la vie, comme éclairé de l’intérieur), qui pointe dans Libé de samedi dernier, où il est l’invité du WE, les dérapages de langage de « l’élite » , ses fautes de syntaxe (plusieurs exemples cités) ; et cette belle envolée : « Au tournant de la vidéosphère, on assiste à l’effondrement accéléré de deux piliers : l’esthétique et la précision comme logiques structurelles de la langue française. Cela ne peut que s’accomplir sous le règne d’un autocrate illettré, servi par la trahison des clercs. Nous sommes entourés par des bacs + 15 qui ont raté leur CM2. »
Et aussi ceci, qui touche, à la fin de l’envoi : « Le tsarkozisme, cette monarchie névrotique, hâte la fin de la démocratie. »
Tu l’as dit, l’ami !

Et deux mots encore, pour rester dans la littérature, puisque le Salon du livre ouvre bientôt, où vous irez peut-être. Je voudrais réparer un oubli et vous signaler une nouvelle maison d’édition, qui a déjà deux ans d’âge, créée et dirigée par un Russe qui eut jadis maille à partir avec le régime soviétique. Viatcheslav Répine vit maintenant à Paris depuis une vingtaine d’années et écrit en français, dans une langue à laquelle Borer n’aurait rien à redire ! Témoin ce roman, Antigonia  [^4], qui raconte l’histoire d’une amitié, pas toujours simple à vivre, entre deux écrivains, l’un russe, l’autre américain. Quant à sa maison d’édition, Temps & périodes, elle propose à votre attention des livres de belle texture et de présentation soignée : littérature russe contemporaine ou classique (Tolstoï, Pouchkine…).
Un tour sur son site vous en apprendra davantage (et pardon, cher Répine, d’avoir autant tardé…).

[^2]: Collectif « Ne laissons pas faire ! » .

[^3]: Voir : Nicolas Sarkozy et les droits de l’homme : bilan du premier tiers du quinquennat. Par Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, .

[^4]: 295 p., 21 euros. .

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 8 minutes