Insurrection fiscale
dans l’hebdo N° 1044 Acheter ce numéro
La mise à bas des paradis fiscaux et judiciaires est devenue aujourd’hui une urgente nécessité et un acte de salubrité publique. Une nécessité parce que les paradis fiscaux sont la pointe avancée, bien que mystérieuse et entourée de secrets, du capitalisme financier. […] La totalité des banques et des institutions financières ayant trempé dans la spéculation des subprimes ont pignon sur rue dans les « tax-havens » et les places offshore. 80 % des hedge funds sont localisés dans les paradis fiscaux, dont les îles Caïman. Saura-t-on jamais combien d’argent les dirigeants des Lehman Brothers et autres Northern Rock ont mis à l’abri avant que les banques ne soient déclarées en faillite ? Pour échapper aux règles de prudence, pourtant bien timorées, qui obligent les banques à posséder au moins 8 % de fonds propres par rapport aux crédits « risqués » qu’elles accordent, celles-ci sortent de leur bilan certains de leurs crédits en les titrisant et en les attribuant à des entités juridiques de paille domiciliées dans les paradis fiscaux.
Une nécessité aussi parce que les sociétés démocratiques ne retrouveront pas la maîtrise de leur avenir si elles ne se réapproprient pas radicalement le contrôle de la monnaie et du crédit, et donc des institutions qui en assurent l’émission. Comment pourrait-on exercer un contrôle public précis et permanent du système bancaire si on laissait exister à côté de nous des zones de non-droit, des zones où l’opacité et la fraude sont érigées en vertus cardinales ?
La suppression immédiate et sans concession des paradis fiscaux serait en outre un acte de salubrité publique. L’explosion des inégalités à travers le monde a atteint un tel seuil qu’elle menace gravement l’équilibre social et géopolitique planétaire. Cette explosion est d’abord due à la captation de la richesse par une minorité de privilégiés. Mais elle est aggravée et surtout pérennisée par la remise en cause des systèmes fiscaux dans le monde entier. La libéralisation du mouvement des capitaux s’est accompagnée de politiques fiscales fondées sur le « moins-disant ». […]
De quelque côté que l’on se tourne, l’existence de paradis fiscaux est corrélée avec celle d’enfers sociaux. L’extraordinaire exacerbation de cette contradiction vient de dégénérer en crise globale inédite. Ses multiples dimensions s’entremêlent et se renforcent mutuellement : financière, sociale, économique, alimentaire et écologique. Et c’est pourtant le moment où les tenants de l’ordre mondial établi s’arc-boutent pour maintenir leurs privilèges, dont le privilège fiscal est le plus grossier parce qu’il vise à interdire toute redistribution des richesses. Nous sommes peut-être en 1788, avec la conjonction dans le monde d’une spéculation tous azimuts, d’une crise alimentaire ouverte ou latente et d’une privation des droits humains les plus élémentaires pour une grande majorité des êtres.
Aujourd’hui, l’heure est venue de l’insurrection fiscale pour exiger la suppression des paradis fiscaux. C’est le premier verrou à faire sauter pour réussir une profonde transformation sociale ensuite.