La France invente les droits de l’homme asymétriques
Histoires comparées d’un jeune Franco-Israélien captif des Palestiniens et d’un jeune Franco-Palestinien détenu en Israël.
Récit d’une mobilisation pour briser le mur du silence dont le second est victime.
dans l’hebdo N° 1045 Acheter ce numéro
C’était samedi 21 mars le millième jour de captivité pour le soldat franco-israélien Gilad Shalit, enlevé le 25 juin 2006 lors d’une opération menée par un commando palestinien sur la frontière entre Gaza et Israël. Triste anniversaire pour la famille de Gilad Shalit puisque, quelques jours auparavant, le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, avait finalement refusé l’échange de prisonniers proposé par le Hamas. Mais si le sort de ce jeune homme reste incertain, le moins que l’on puisse dire, c’est que la diplomatie française s’active – à sa façon – pour favoriser sa libération. Deux jours auparavant, le président de la République lui-même avait adressé une lettre aux parents de Gilad Shalit pour les assurer de son soutien : « La France exige la libération de Gilad et continuera sans relâche ses efforts de conviction et de persuasion, auprès de tous ceux qui parlent ou peuvent parler aux ravisseurs de votre fils. » Après quoi, Nicolas Sarkozy réaffirme sa « solidarité » aux parents du jeune homme. Au passage, on remarquera que le président français ne pousse pas l’audace jusqu’à s’adresser directement au gouvernement israélien. C’est aux « ravisseurs » qu’il s’adresse indirectement, et à ceux qui parlent avec eux, c’est-à-dire vraisemblablement les intermédiaires égyptiens. Étrange démarche quand on sait qu’il était dans le pouvoir du gouvernement israélien d’obtenir la semaine dernière la libération de Gilad Shalit.
Salah Hamouri. DR
Mais, après avoir semblé accepter le principe d’un échange avec des prisonniers palestiniens, Ehoud Olmert s’est ravisé, non sans avoir tenté de renvoyer la responsabilité de l’échec sur le Hamas, qui n’a pourtant, à aucun moment, changé les termes de la négociation. Les parents du jeune homme, eux, ne s’y sont pas trompés. C’est bien la responsabilité du Premier ministre israélien qu’ils ont pointée. Installés depuis le 8 mars sous une tente plantée devant la présidence du Conseil israélien, ils l’ont clairement interpellé, samedi, devant des centaines de personnes réunies : « Tu disposes encore de deux semaines pour agir avant qu’il soit trop tard ! » , a clamé Noam Shalit, père de Gilad, faisant allusion à la probable installation dans quinze jours d’un gouvernement d’extrême droite dirigé par Benyamin Netanyahou.
Beaucoup plus prudent, Nicolas Sarkozy s’adresse, lui, tacitement à l’Égypte alors que c’est Israël qui détient la solution. Il ne faut décidément ne faire aucune peine, même légère, à Israël, ni même évoquer ses responsabilités et placer son gouvernement dans l’embarras.
C’est évidemment au nom du même raisonnement que la France ignore scandaleusement un autre captif, le jeune Franco-Palestinien Salah Hamouri. Celui-ci est détenu depuis près de mille cinq cents jours dans une geôle israélienne pour des faits qu’il n’a pas commis, et qu’on ne lui reproche même pas, puisque c’est d’avoir eu l’intention de les commettre qu’il est accusé. Le délit d’intention n’existant pas dans une démocratie, et aucun élément ne corroborant la volonté prêtée au jeune homme de s’en prendre à un rabbin extrémiste (puisque telle est l’accusation !), il n’est pas exagéré de parler de prise en otage pour Salah Hamouri. Si l’on veut bien oublier le statut des « preneurs d’otages » – l’État d’Israël, d’un côté ; un commando palestinien, de l’autre –, Salah Hamouri est beaucoup plus « otage » que Gilad Shalit, dont personne ne peut nier qu’il était, lui, en opération avec un commando de l’armée lorsqu’il a été capturé par un groupe palestinien. Dans le traitement totalement inégal réservé par la France aux deux jeunes hommes – Shalit a 22 ans, Hamouri aura 24 ans au mois d’avril –, qui l’un et l’autre ont la double nationalité, il semble décidément que Paris ait inventé les droits de l’homme asymétriques. Que l’on sache, pas un mot n’a été adressé par Nicolas Sarkozy au président israélien Shimon Pérès ou à la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni.
La seule « intervention » connue à ce jour des autorités françaises à propos de Salah Hamouri aura été une demande présentée au gouvernement israélien afin que le procès du jeune Franco-Palestinien trouve « une issue rapide ». Comme le notent, dans un courrier récemment adressé à Nicolas Sarkozy, Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice de Paris, et Michel Billout, sénateur de Seine-et-Marne, cette demande, effectuée par Bernard Kouchner, les 16 et 17 février 2008, a eu un « effet immédiat » : « Le procureur israélien a proposé à Salah Hamouri de “plaider coupable” pour éviter quatorze ans de prison. » Il a ainsi été condamné par un tribunal militaire, le 17 avril 2008, à sept ans d’emprisonnement. Comme pour bien marquer son mépris, Nicolas Sarkozy n’a même pas accepté de recevoir Denise Hamouri, mère de Salah. Quoi qu’il en soit, on peut toujours rêver à une issue heureuse. En imaginant, par exemple, que le refus israélien de mener à son terme la négociation avec le Hamas, via l’Égypte, ne soit que provisoire, et que l’échange proposé profite finalement aux deux jeunes gens. Pure conjecture en l’état actuel des débats.
Regrettons enfin que cette conception asymétrique des droits de l’homme qui prévaut pour l’instant ne soit pas le seul fait du gouvernement français. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a fait Gilad Shalit citoyen d’honneur de la ville de Paris, des portraits du jeune Franco-Israélien ont été accrochés sur des bâtiments publics. Pour le jeune Franco-Palestinien, rien. Fort heureusement, la mobilisation s’intensifie. Un comité de soutien a été constitué à l’initiative de l’ancien député communiste Jean-Claude Lefort, qui accomplit un travail admirable. L’Humanité vient de décider d’évoquer chaque jour le sort de Salah Hamouri jusqu’à sa libération. Nous nous associons pleinement à cette mobilisation, dont nous tiendrons régulièrement informés nos lecteurs.
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