Label AB : Un business pas bien bio
Garant de la bio en France, l’organisme de certification Ecocert est devenu une grande entreprise sur un marché en progression. Au prix de dérives et d’un franc malaise social.
dans l’hebdo N° 1043 Acheter ce numéro
L’engouement pour la bio ne se dément pas, même en temps de crise. Alors que près d’un Français sur deux consomme des produits biologiques [^2], le monde des organismes de certification bio est devenu un vrai business, avec des chiffres d’affaires aux marges de progression enviées. De nombreuses entreprises comme Ecocert, Qualité-France, Agrocert, l’Association française de qualité ou encore Certipaq veillent à ce que les agriculteurs bios respectent les réglementations en vigueur. Elles délivrent notamment l’indispensable label AB – la certification bio –, un précieux repère pour les consommateurs et les grandes marques alimentaires. Et ces organismes de contrôle sont eux-mêmes inspectés par le ministère de l’Agriculture, via le Comité français d’accréditation (Cofrac).
Le label bio est-il vraiment un gage de bonnes pratiques ? Guez/AFP
Dans ce monde très concurrentiel, Ecocert est l’organisme le plus connu : l’entreprise privée occupe 70 % du marché national de la certification bio. Né il y a dix-sept ans de l’Association des conseillers en agriculture biologique, Ecocert est maintenant un groupe international avec une société mère installée en France. « Nous sommes présents dans près de 18 pays » , explique Julie Basdevant, la chargée de communication d’Ecocert. « C’est devenu une multinationale , observe Gérard [^3], un ancien salarié. Et c’est très loin de ce qu’Ecocert était au début, une petite association de militants écolos. » Dès 1995, Ecocert se développe en Allemagne, au Portugal, à Madagascar, en Turquie, au Burkina Faso…
La liste est longue. Et cette expansion pose parfois des problèmes.
Des dérives ont été observées ces derniers mois, concernant notamment des cosmétiques : des anomalies sont révélées dans une enquête du mensuel de l’association de consommateurs Que choisir (septembre 2008). Un procès est intenté « à des organismes certificateurs tels qu’Oasis ou Ecocert pour l’emploi dévoyé de la mention “biologique” ». Plus précisément, le 27 mai 2008, All One God Faith, une firme californienne spécialisée dans les cosmétiques bios, et une association de consommateurs américains, Organic Consumers Association, portent plainte contre la filiale américaine d’Ecocert. « Les produits cosmétiques étiquetés 100 % bio ne contiennent pas que des substances biologiques mais comprennent aussi des agents pétrochimiques » , peut-on lire dans le document que Politis s’est procuré. Ecocert ne souhaite pas s’étendre sur le sujet : « L’affaire est en cours, nous ne pouvons en parler », se défend la direction.
Autre affaire, en novembre 2008 : près de 300 ton-
nes de soja importées de Chine, destinées au secteur de la volaille bio du Grand-Ouest, ont été retirées du marché après la découverte d’un taux de mélamine (un produit normalement utilisé pour la fabrication de la colle et du plastique) 50 fois supérieur à la norme autorisée. Ecocert Chine est en charge de la certification du soja importé, mais la maison mère s’affranchit de l’accusation : « C’est tellement improbable de trouver de la mélamine dans les aliments que nous n’effectuions pas de vérification pour cette substance. Mais, depuis cet incident, l’entreprise a renforcé les dispositifs de contrôle d’Ecocert Chine. » La filiale chinoise est pourtant composée d’une vingtaine de salariés et d’un directeur, et elle reçoit trois visites par an pour des formations et des vérifications.
« Je suis sceptique quant à l’organisation des filiales à l’étranger, dit Gérard. Je pense que leur mise en place a été trop rapide et pas assez réfléchie. Ce qui donne lieu à des dérives, comme avec le soja chinois. » Blaise Hommelen, ancien directeur d’Ecocert Belgique et cofondateur historique de l’organisme, raconte pour sa part les « catastrophes » successives de la nouvelle structuration du groupe : « Nous étions un réseau autonome de sociétés, mais William Vidal [actuel président d’Ecocert] a changé les règles en réunissant les Ecocert avec l’objectif de les contrôler. J’appelle ça un coup d’État. Pour ce qui nous concerne, nous avons quitté Ecocert Belgique pour créer Certisys. En Allemagne, la société a été mise en faillite par son principal client, Ecocert SA, qui n’a plus payé ses factures parce qu’il voulait rester autonome. Cela a été assez violent… Au Portugal, on a fait miroiter que Solcert allait entrer dans le groupe. Mais les responsables ont refusé, le gérant a été viré et il a créé un nouvel organisme, Certiplanet. En Espagne, ils ont coupé les ponts. Tout a explosé en quelques années. »
Même le Cofrac s’interroge sur l’organisation de l’expansion internationale d’Ecocert. Début décembre, l’institution publique a lancé un avertissement en suspendant quelques jours son accréditation, décision exceptionnelle qui provoque notamment la colère d’Ecocert Italia et sa transformation en Ecogruppo Italia. Les écarts reprochés à l’entreprise concernaient les tableaux des organismes dans les filiales internationales car ils n’indiquaient pas les activités essentielles : la qualification du personnel, le mandatement, les évaluations des rapports, les décisions de certification. « Cette suspension temporaire ne concerne pas la qualité de nos contrôles et de nos décisions de certification », se défend la chargée de communication d’Ecocert.
En France, l’entreprise Ecocert rencontre de plus un véritable malaise social. Quelques salariés et anciens employés ont créé un blog de protestation sur lequel on peut lire : « Une société comme Ecocert ne respecte plus les hommes qui travaillent pour elle, en s’inscrivant dans cette vision de la mondialisation où le siège français d’une multinationale dicte sa loi à ses filiales, comme le grand patron dicte sa loi à ses employés… Il ne peut pas y avoir d’écologie qui ne respecte pas les hommes. » Le collectif dénonce « le décalage entre les valeurs affichées d’Ecocert, le respect, la solidarité, l’équité, l’environnement, et la réalité observée : la souffrance au travail et la priorité du retour sur investissement par rapport à la qualité du contrôle pour les filiales internationales ».
Bruno, un employé d’Ecocert, remarque « un nombre de démissions, de licenciements, d’actions aux prud’hommes, d’interventions de l’inspection du travail, de refus d’embauche au terme de périodes d’essai au sein de l’entreprise qui atteignent des sommets délirants » . Ce qui a fait dire à un autre salarié qui a entamé une procédure prud’homale : « Les références à l’éthique ne sont plus que pure communication, au service d’une stratégie marketing. Le comble du paradoxe est atteint avec l’offre d’une certification en commerce équitable, alors que la société a du mal à respecter ses propres salariés ! »
« La certification bio est devenue un monde de business. Et je parle pour Ecocert, comme pour d’autres, constate Guy Kastler, chargé de mission à Nature et Progrès. La gestion du personnel d’Ecocert correspond à celle d’une entreprise marchande. » Cette association de consommateurs et de professionnels de la bio refuse la certification des entreprises privées : « Pour nous, c’est une mission régalienne de l’État. »
Guy Kastler reconnaît cependant que l’État intervient par l’intermédiaire du Cofrac pour garantir les certifications, mais il en pointe les limites : « Les directeurs des grandes entreprises de certification siègent au conseil d’administration du Cofrac, c’est de l’autocertification ! » En effet, William Vidal y est présent en tant que membre actif, mais le Cofrac jure ne pas mêler les intérêts particuliers au contrôle des organismes certificateurs. Reste que, dans certains cas, les situations sont cocasses, raconte un ancien responsable de service qui a quitté Ecocert l’année dernière : « J’ai été audité en 2008 comme tous les responsables de filiales internationales. Ce qui était extraordinaire, c’est que l’auditrice du Cofrac était une ancienne d’Ecocert. C’était fort d’être audité par quelqu’un qui connaissait mieux la maison que moi… et qui est toujours très proche de la direction d’Ecocert ! » Guy Kastler conclut sèchement : « Ce n’est pas le rôle des opérateurs économiques de dire ce qui est bio ou pas. »
[^2]: D’après un baromètre réalisé par l’Agence bio en collaboration avec le CSA en 2007.
[^3]: Les prénoms ont été changés à la demande des salariés et des ex-salariés.