Le bouclier fiscal en débat

Vincent Drezet  • 26 mars 2009 abonnés

Le bilan du bouclier fiscal version 2008 a été rendu public alors que l’Assemblée nationale débattait d’un amendement visant à le suspendre, peu de temps après
la sortie du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires consacré au patrimoine des ménages, qui constatait à propos du bouclier des « effets d’aubaine » et une importante « optimisation fiscale » . Si l’on ajoute à ce paysage les effets de la crise
et le sentiment, largement partagé dans l’opinion, que tous les agents économiques ne sont pas mis équitablement à contribution, on a là les principales explications
de la forte remise en cause de ce bouclier fiscal.

Lors de son instauration, une image a incontestablement « porté » ; celle selon laquelle « il n’est pas normal de consacrer plus de 50 % de son revenu à payer des impôts » . Des exemples souvent caricaturaux sont avancés, avec des taux d’imposition allant jusqu’à… 90 % ! Une telle approche invite chacun à confronter
sa propre situation à ce seuil de 50 %, ce qui implique nécessairement, dans un premier temps, une adhésion de principe à une limitation de la « charge fiscale ».
Seulement voilà, la première image forte passée, les questions de fond se sont posées, et avec elles les premiers résultats du bouclier. Chacun ressent désormais qu’il n’est pas normal que des contribuables reçoivent, sans effort ni mérite particulier, un chèque du Trésor public d’un montant parfois très élevé : en 2008, 834 contribuables au patrimoine supérieur à 15,5 millions d’euros ont ainsi reçu
en moyenne 368 000 euros, soit 30 ans de Smic…

Si les questions « morales » sont prégnantes, elles ne doivent pas empêcher l’analyse des termes techniques du débat. Car on y mélange aisément les choux et les carottes. Ainsi, dans son mode de calcul, le bouclier fiscal comprend tout à la fois des impôts sur des flux de revenus (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux) et des impôts sur du stock de patrimoine (l’impôt de solidarité sur la fortune – ISF – et les impôts locaux, calculés sur la valeur locative cadastrale) :
pour calculer le montant du remboursement, la somme de ces impôts est rapportée à un flux (le revenu) sans que le stock
(le patrimoine) ne soit pris en compte. Cela fausse les comparaisons ainsi que la réalité des impositions astronomiques avancées pour justifier le bouclier fiscal,
sauf à considérer que le patrimoine n’a pas de valeur, ce qui entre alors en contradiction avec le discours libéral qui, précisément, conduit à donner une valeur à tous les actifs.

C’est donc bien l’imposition du patrimoine qui est remise en cause dans son principe. C’est elle dont il faut débattre en partant des fondamentaux. Si l’on prend deux personnes qui disposent d’un niveau de revenu égal,
celle qui dispose d’un patrimoine s’en sortira mieux et plus vite que celle qui n’a rien : le patrimoine est bien une richesse qui entre dans la capacité contributive
des personnes. Par ailleurs, l’imposition du patrimoine est principalement une imposition sur les revenus du patrimoine (l’ISF est payé avec les revenus des contribuables, ceux-ci n’ont pas besoin de vendre une partie du patrimoine pour payer), ce qui explique qu’elle soit peu redistributive.
Enfin, et surtout, la complexité de la fiscalité du patrimoine (due aux niches fiscales de l’ISF, à la structure datée des droits de mutation…) oblige à la repenser.

En général, chacun veut léguer à ses enfants le « fruit d’une vie de travail », soit,
dans la très grande majorité des cas, l’habitation principale et/ou une épargne familiale, souvent faible. Pourquoi alors ne pas refondre l’ISF et les droits
de mutation autour d’une architecture commune simple, basée sur une assiette large (ce qui suppose de revenir sur certains mécanismes existants) et sur un abattement sur l’habitation principale (ou, à défaut, sur une épargne de type épargne populaire comme les « livrets réglementés ») plafonné ? Il s’agirait là d’un véritable « big-bang » de la fiscalité patrimoniale, qui déboucherait sur une fiscalité plus lisible,
donc mieux comprise, plus juste et plus rentable. Sur le plan de la justice fiscale et sur le plan économique, une telle proposition se défend.

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