Redécoupons la tarte !
dans l’hebdo N° 1042 Acheter ce numéro
Les gauches social-démocrate, communiste, trotskiste et autres
se sont engouffrées dans la trappe du compromis keynéso-fordiste. Elles se sont laissé séduire par le mythe de la tarte
qui grossit indéfiniment. Collaborer à la croissance plutôt que
se battre avec acharnement pour partager un gâteau de taille quasi immuable permet d’améliorer les parts à moindres frais.
Le projet partageux du communisme s’est ainsi dissous dans
le consumérisme. Le volume de la tarte a certes augmenté considérablement, mais au détriment de la planète, des générations futures et des peuples du tiers-monde.
Les meilleures choses ayant une fin, ce « socialisme réduit aux acquêts » ne fonctionne plus très bien depuis les années 1970, parce que la tarte renâcle à augmenter. Les hauts fonctionnaires du capital l’ont plus ou moins compris et se sont empressés d’accroître substantiellement (10 à 20 % du PIB en plus),
grâce au jeu du casino mondial, leur part du gâteau avant que
le blocage ne soit total.
Intoxiquée par ses démissions passées successives, la gauche « responsable » ne peut que se réfugier dans un libéral-socialisme misérabiliste. Le fameux « trickle down effect » – c’est-à-dire la diffusion à tous des bienfaits de la croissance – se dégrade en « effet sablier ». Puisqu’il y a davantage de riches et qu’ils sont de plus en plus riches, il faut aussi qu’il y ait davantage de laveurs de voitures, de serveurs de restaurants, de livreurs de courses à domicile, de nettoyeurs et de gardes privés pour se protéger des pauvres toujours plus nombreux. C’est le socialisme réduit aux miettes… La croissance des Trente Glorieuses avait été tirée par les exportations, celle des Trente Piteuses qui ont suivi a pu se maintenir tant bien que mal grâce à l’endettement phénoménal des ménages et des États.
Aujourd’hui, la fête est finie ; il n’y a même plus ces marges de manœuvre. La tarte ne peut plus croître. Plus encore (et nous
le savons bien depuis longtemps, même si nous nous refusons
à l’admettre), elle ne doit pas croître. La seule possibilité
pour échapper à la paupérisation au Nord, comme au Sud, est d’en revenir aux fondamentaux du socialisme sans oublier, cette fois, la nature : partager le gâteau de manière équitable.
En 1848, alors que celui-ci était trente à cinquante fois moins gros, Marx, mais aussi John Stuart Mill le pensaient déjà ! Comme, en s’accroissant, la tarte est devenue de plus en plus toxique – le taux de croissance de la frustration, suivant la formule du penseur Ivan Illich, excédant largement celui de la production –, il faudra nécessairement en modifier la recette. Inventons donc une belle tarte avec des produits bios, d’une dimension raisonnable pour que nos enfants et nos petits-enfants puissent continuer à la refaire, et partageons-là équitablement. Les parts ne seront peut-être pas assez grosses pour nous rendre obèses, mais la joie sera au rendez-vous.
Tel est le programme de la décroissance, seule recette pour sortir positivement et durablement de la crise.