Un enfermement absurde
Hélène Castel, arrêtée
au Mexique trois jours avant
la prescription de sa peine prononcée en France il y a plus de vingt ans, publie le récit
de son incarcération.
dans l’hebdo N° 1042 Acheter ce numéro
Une vengeance ? L’État français, en l’occurrence la droite au pouvoir, a-t-il voulu régler des comptes avec l’extrême gauche des années 1970 ? A-t-on droit à une seconde chance ? À quoi sert-il d’arrêter quelqu’un si longtemps après son acte, alors qu’on sait que cette personne a refait sa vie et ne représente plus aucun danger pour la société ? Ce sont là quelques-unes des questions que le lecteur se pose au fil du récit d’Hélène Castel sur son parcours carcéral, après son arrestation en mai 2004 au Mexique, où elle s’était réfugiée au début des années 1980, après avoir commis, selon ses propres mots, « une grosse bêtise », « une folie », c’est-à-dire sa participation à un hold-up d’une succursale de la BNP à Paris. Si l’on peut s’interroger sur le caractère de vengeance à son encontre de la part du ministère français de l’Intérieur (alors occupé par Dominique de Villepin), c’est que la « fugitive » a été arrêtée après plus de deux décennies d’une vie « normale » passées à se reconstruire en élevant sa fille et en écoutant la souffrance des autres comme psychothérapeute, soixante-douze heures seulement avant que sa peine prononcée au début des années 1980 ne soit prescrite. Trois petites journées avant le terme final lui garantissant le pardon, après un quart de siècle sans avoir commis le moindre impair.
C’est par l’épisode douloureux de son interpellation sans ménagement que commence le beau texte d’Hélène Castel : « Tous les quatre m’attrapent par les bras, les jambes, me ceinturent brusquement, me jetant avec force dans la voiture blindée. […] Je sais seulement que j’ai peur – une peur impalpable. » Débute alors son parcours carcéral, bringuebalée de prison en prison, d’une maison d’arrêt vétuste, « moyenâgeuse » même, à une centrale plus moderne à Mexico, puis son arrivée à Fleury-Mérogis, où elle découvre alors « l’effet déshumanisant, paralysant de cet isolement » auquel elle est soudain soumise en France, telle une condamnation supplémentaire, en tant que « DPS, détenue particulièrement surveillée ». Affamée après douze heures d’avion avec deux agents d’Interpol, elle demande simplement à manger à la première surveillante française à qui elle fait face. « “Vous pouvez bien attendre, Madame, vous êtes en prison”, avant de fermer la porte sèchement » sera la seule réponse qu’elle obtiendra en guise de bienvenue à son retour dans son pays d’origine. Alors qu’elle vient de quitter une prison mexicaine sans beaucoup de moyens mais plutôt plus « humaine », puisque les familles des détenues pouvaient venir les visiter assez facilement et même déjeuner avec elles au soleil dans la cour le dimanche, le choc est brutal quand elle se retrouve seule, dans sa cellule, réveillée chaque nuit toutes les deux heures. Et de s’interroger : « Est-ce cela, en France, la privation de liberté ? »
Si ce livre est d’abord un témoignage émouvant sur la condition de détenu(e), condition particulièrement diminuée dans les prisons françaises où l’humiliation, la surpopulation, la crasse et la violence des rapports humains tranchent avec la description de son expérience similaire au Mexique, il se veut aussi un démenti aux amalgames qu’a propagés la presse à son propos : « Action directe », et même « Brigades rouges »… Quelques années après les attentats du World Trade Center, Hélène Castel fut en effet présentée à son arrestation en mai 2004, sur indication de fonctionnaires français qui ont certainement écouté ses conversations téléphoniques avec son père, le sociologue Robert Castel, comme une dangereuse terroriste d’extrême gauche. Immergée dans les milieux marginaux des squatteurs parisiens de la fin des années 1970, entre révolte contre la société capitaliste et besoin de survivre, elle décide avec ses amis – sans aucune expérience – d’attaquer une banque. « Incapable de prendre vraiment en compte que c’étaient des personnes qui y travaillaient » , la jeune femme ne veut voir alors « dans [s]on imaginaire, qu’un monstre spéculateur et déshumanisé ». Elle reconnaît volontiers aujourd’hui que cette vision « était simpliste, certes, mais j’y croyais » … Entreprise vouée à l’échec – l’un de ses amis succombera d’ailleurs à ses blessures, touché par les balles des policiers lorsqu’ils s’échappent, bredouilles, de l’agence bancaire –, qui l’obligera à un changement irréversible de vie mais aussi à commencer une réflexion sur elle-même. Celle-ci la conduira in fine à être à l’écoute des souffrances des autres : « La psychothérapie a été mon alliée pour pouvoir déployer à l’aide de la parole les plis superposés de mes tranches de vie. » Et ce livre est aussi l’aboutissement d’années d’interrogations pour « tenter de comprendre l’origine de [s]es actes ».
Un récit, à la fois retour sur soi et moyen de survivre à l’enfermement et à l’isolement, dont les « mots, mes doux alliés » comme elle les nomme, lui ont permis de ne pas sombrer à son arrivée dans la cellule grise de Fleury-Mérogis. Des mots qu’elle sait employer avec brio, comme le montre ce livre, qui lui permettront aussi de se défendre à son procès. Condamnée à deux ans de prison avec sursis, elle retrouvera finalement Paris, la ville qu’elle avait quittée vingt-quatre ans plus tôt. Ce livre est une belle illustration du droit à jouir d’une seconde chance.