Des boycotteurs très présents
Nous avons décidé à quelques militants associatifs, de l’AIC, l’ATMF, CCIPPP, CMF, FTCR, et l’UJFP [^2], de nous rendre à la Conférence de réexamen de Durban à Genève, unis par un sentiment mêlé d’inquiétude et de nécessité. Notre message commun était clair : le refus de l’exception. La Conférence de réexamen de Durban contre le racisme et pour le respect des droits de l’homme dans le monde ne pouvait faire l’impasse sur ces violations du racisme colonial et ces discriminations légales contre les citoyens palestiniens d’Israël. Le dire ensemble nous semblait important. Mais perdus dans ce cadre immense, et en l’absence de la plupart des ONG et associations françaises du mouvement social, qu’allions-nous pouvoir y faire d’autre que constater et surtout, en témoignant, tenter de lutter contre la lourde artillerie médiatique qui conditionnait depuis des mois les esprits sur cet événement ?
Nous avons vite compris où nous étions. Dès le 19 avril, une Conférence alternative était organisée à Genève avec des invités de choix, dont Caroline Fourest, venue défendre les thèses du choc des civilisations, et désigner l’ennemi musulman. Puis une manifestation contre l’antisémitisme visant directement la Conférence, suivie d’une veillée d’armes le 20 et d’un meeting le 22 devant le Palais des Nations avec Nathan Chtaranski, l’ex-dissident soviétique passé à l’extrême droite israélienne, ministre des Relations avec la Diaspora, et Alan Dershovitz, célèbre avocat américain néoconservateur.
Mais c’est avec l’ouverture de la Conférence des États que nous avons mesuré l’ampleur de l’opération. Dès le matin, des groupes sionistes manifestent devant les entrées du Palais des Nations, scotch noir sur la bouche, avec pancartes et tracts dénonçant une conférence conduite selon eux par les États racistes ne respectant pas les droits humains. Ils appellent à quitter la Conférence en soutien aux États luttant vraiment contre le racisme et pour ces droits, États-Unis, Canada, Israël et quelques pays européens. Israël, bien qu’officiellement absent de la Conférence, y a assuré sa présence et son contrôle avec un lobby de près de 1 500 personnes entourées et protégées par une forte présence de barbouzes israéliennes, et l’arrogance de colons en territoire conquis : l’Union des étudiants israéliens, l’Union des étudiants juifs de France, des groupes d’étudiants américains, anglais, et aussi des chrétiens sionistes. L’accréditation a été retirée au 3e jour de la conférence à « Coexistence » et à l’UEJF, en raison de leur comportement « délinquant » pour dénoncer le racisme de la conférence dans toutes les commissions susceptibles d’aborder le colonialisme israélien, les violations des droits humains en Palestine ou les discriminations et le racisme vis-à-vis des Palestiniens citoyens d’Israël. La méthode est binaire et monothématique. Chaque fois qu’il sera question de la Palestine, le lobby présent opposera une batterie de questions : quid du Darfour, du Congo, du Sri Lanka, des droits des femmes et des homosexuels en Iran, etc. ?
Et quid de l’antisémitisme ?
Plus grave encore, le fruit d’un lobbying coordonné par UN Watch – ONG au service de la cause – auprès des groupes africains, entre autres, les persuadant que ce sont les Palestiniens qui veulent monopoliser l’attention avec leurs problèmes et sont indifférents aux autres discriminations.
Pour comprendre ce qui se passe, il faut obstinément déconstruire la massive propagande à l’œuvre, qui présente l’ensemble de l’opération comme l’attaque d’un Sud antisémite, essentiellement arabo-musulman, opposé à la liberté d’expression, et pour l’essentiel contre la démocratie, qui est évidemment représentée par tous les pays absents. Or, en réalité, c’est l’inverse qui s’est passé. Depuis le lendemain de Durban I jusqu’à Genève, la conférence contre le racisme a été soumise aux lignes rouges des démocraties du Nord : ne pas condamner Israël et ne pas évoquer la Palestine, quitte même à imposer pour y parvenir qu’aucun pays n’y soit nommément désigné.
Depuis Durban, huit années ont passé, huit années d’ultralibéralisme néoconservateur qui ont imposé l’unilatéralisme comme mode de négociation, la guerre préventive et la recolonisation comme modalité de pacification, laminé les droits civiques, le droit international et les institutions de l’ONU, réuni dans l’Otan la nouvelle direction mondiale, provoqué une crise économique mondiale majeure.
Genève est le sinistre reflet de cette période, et de la violence sans merci de la rencontre Nord-Sud contemporaine. C’est la confiscation de cet espace d’expression des peuples du tiers monde, ceux qui souffrent, jusque dans nos contrées, du racisme et des violations des droits humains. Dans le Forum de la société civile, ceux-là ont demandé que des sanctions de ces violations visent aussi les pays d’accueil des millions de réfugiés.
Mais, au total, l’imposture médiatique de Genève aura consisté à faire croire à un boycott d’Israël et d’un certain nombre d’États, alors que ceux-ci ont été omniprésents, qu’ils ont imposé un diktat préalable sur le texte de la déclaration finale, vidant comme une coquille le cadre de travail, et exercé un contrôle permanent à l’intérieur comme à l’extérieur de la conférence.
[^2]: Alternative information centre-Jérusalem/Bethléem, Association des travailleurs maghrébins de France, Campagne civile pour la protection du peuple palestinien, Collectif des musulmans de France, Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives, Union juive française pour la paix.
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