Des renards dans le métro
Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses espèces sauvages s’installent dans les zones urbaines. En cause : le grignotement des espaces ruraux par les villes et le réchauffement de la température.
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Pour faire rire les collègues de boulot ou les confrères journalistes, commencez à raconter, pour illustrer le retour d’une certaine biodiversité en ville, que vous avez un jour rencontré un renard place de la République, à Paris, vers deux heures du matin. Succès garanti. Ensuite, il ne reste plus qu’à expliquer gentiment que l’animal est simplement venu faire une promenade nocturne depuis le bois de Vincennes, où l’espèce s’est installée depuis le début des années 1980 avec un nombre grandissant de congénères, une vingtaine environ. Après une longue hésitation, ces renards ont même commencé à coloniser le bois de Boulogne, dans le XVIe arrondissement parisien. Mais, même si des naturalistes ont expliqué que certains ont pris nuitamment des tunnels du métro, il ne faut pas en déduire qu’ils prennent les transports en commun pour se déplacer. À Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Bruxelles, à Amsterdam, à Londres, à Carpentras ou à Bruxelles, les renards prennent juste goût à la ville. Ils ont découvert, comme d’autres mammifères et des oiseaux, que l’espace urbain regorge de nourriture. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer Goupil en train d’essayer d’ouvrir une poubelle (voire d’y parvenir) dans une avenue qui borde le bois. Les SDF qui vivent dans les taillis le savent, qui se gardent depuis longtemps de laisser traîner la moindre denrée. Il y a toujours une bestiole à l’affût : renard, fouine, écureuil ou belette. Et elles n’hésitent pas à s’aventurer nuitamment ailleurs.
Les renards se sont installés au bois de Vincennes, à Paris, au début des années 1980. Photo12
Depuis vingt ans, des espèces sauvages recolonisent les zones urbaines, Paris compris. Pour la nourriture, parce que parcs et jardins cèdent au désordre naturel, parce qu’en grignotant l’espace rural qui l’enserre, la ville laisse des interstices de nature la pénétrer. Parce que les chasseurs et les agriculteurs leur fichent la paix, quelques mammifères et un nombre grandissant d’oiseaux investissent les villes. Des oiseaux qui ne font pas (seulement) les poubelles puisque Paris, par exemple, abrite 1 200 espèces de plantes sauvages, dont des graminées et des céréales aux semences apportées par le vent. Pour les oiseaux qui n’aiment pas les graines, avec plusieurs centaines d’insectes, dont plus de 70 espèces de mouches et de moustiques et une centaine de papillons, ils ont de quoi faire des repas plantureux. D’où, toujours pour Paris (mais la situation est sensiblement la même à Lyon et à Bordeaux), la présence régulière de 160 espèces d’oiseaux. Dont ceux qui dédaignent les insectes pour s’intéresser soit aux petits mammifères, soit à de petits oiseaux : comme les chouettes, que l’on entend chaque nuit, surtout en ce moment, hululer dans le parc des Buttes-Chaumont, ou les faucons crécerelles qui nichent sur les tours de Notre Dame, sur la gare Saint-Lazare et sur quelques églises. Dans la capitale comme dans d’autres villes, ils font peur aux pigeons, même si ces derniers sont trop gros pour être croqués. Pour les hérons, notamment ceux qui viennent régulièrement patauger dans le parc de Bercy, il y a suffisamment de mollusques, de tritons et de crapauds pour assurer leur ordinaire. À défaut, ces hérons et aussi quelques cormorans se régalent avec les tortues de Floride que des Parisiens, lassés de les nourrir à la place de leurs enfants, ont plus ou moins discrètement relâchées dans la nature citadine.
Les villes ne risquent guère de se trouver envahies par les mulots et les souris, car les fouines qui habitent dans les tunnels et les maisons en ruines s’en occupent. À Paris, elles habitent prioritairement sur le tracé de l’ancienne voie de chemin de fer de la petite ceinture. Elles y cohabitent avec les lézards, de plus en plus nombreux à se faufiler dans la capitale.
En ville, il fait de moins en moins froid, un degré de plus en moyenne que dans la campagne alentour : les animaux se sentent de plus en plus à l’aise, modifiant peu à peu leur nourriture et leurs distances de fuite. Ils s’adaptent à une nouvelle biodiversité. Comme les citadins.
Le miel produit à Paris, dans les jardins du Luxembourg, sur quelques toits, dont celui de l’Opéra, dans le parc Georges-Brassens et dans de nombreux jardins citadins, est devenu l’un des meilleurs. Pour deux raisons : d’abord parce que les abeilles qui le secrètent n’y craignent pas les insecticides, dont l’usage citadin est de plus en plus limité, alors que les zones agricoles restent très polluées. Et parce que les jardins urbains regorgent de fleurs et d’arbres très variés, que les insectes peuvent butiner en toute quiétude. Cette végétation est tellement diverse que le miel prend en ville un goût très particulier, dont raffolent les amateurs. Les abeilles, plus attentives que les promeneurs, repèrent par exemple, sur les berges de la Seine épargnées par les voitures, plusieurs espèces d’orchidées, la plupart protégées. On les retrouve aussi dans le parc de la Courneuve, où le monumental Atlas de la flore sauvage publié par le conseil général de la Seine-Saint-Denis en recense plusieurs.
C.-M. V.