Entretien avec Claire Villiers : le travail, une valeur subversive ?
Quelle est la place du travail en période de crise ? Claire Villiers*, à l’initiative d’un appel
sur la démocratie dans le travail, veut replacer cette question au centre du débat politique à gauche.
dans l’hebdo N° 1050 Acheter ce numéro
Politis : La crise remet
en cause la place du travail, expliquez-vous en substance dans un appel lancé par le collectif Travail & Démocratie. Cela ne révèle-t-il pas
des enjeux de société contradictoires ?
Claire Villiers : On le voit bien dans les conflits actuels : les salariés se battent pour garder un emploi, y compris un emploi dur, sur les finalités sociales duquel on peut s’interroger. Ils sont prêts à risquer la taule pour ça. Au fondement de cette situation, il y a la remise en cause du fait que le travail est devenu une marchandise. Le travail est quelque chose qui permet aussi l’échange, qui permet de se construire. Le mouvement ouvrier pas plus que les organisations de chômeurs n’ont réussi à prendre à bras-le-corps cette contradiction.
Pourquoi relancer un débat
sur ce sujet aujourd’hui ?
Nous avons souvent une conception doloriste du travail. On rappelle toujours la racine latine de ce mot, le tripalium , l’instrument de torture, sans considérer que le travail peut être aussi une force de subversion et de lutte. Certes, les organisations du travail peuvent rendre fou ou conduire au suicide. Elles sont fondées sur la délation, le mensonge et la concurrence… Elles sont exactement ce qu’on ne veut pas. Et pourtant, dans une espèce de soumission individuelle et collective, les salariés, au nom du besoin de gagner leur vie et également du besoin de travailler, s’y soumettent. Il faut se réinterroger sur cette exigence de travailler tous et moins pour la satisfaction des besoins sociaux.
Mais les luttes actuelles autour du travail révèlent aussi une violence sociale de plus en plus forte…
C’est une violence sociale et surtout politique. Aujourd’hui, les orientations du gouvernement privilégient la rémunération du capital au détriment de celle du travail. Le choix politique est d’assigner certains à beaucoup de travail dans des conditions détestables, pendant que d’autres sont livrés au chômage et à la précarité. La défiscalisation des heures supplémentaires et, dans un autre registre, la mise en œuvre du revenu de solidarité active (RSA) vont dans ce sens. C’est à l’opposé du choix de réduction du temps de travail pour tous que nous revendiquions dans les mouvements de chômeurs dans les années 1990, et qui était porté par des organisations syndicales.
N’est-il pas nécessaire
de recourir à d’autres voies
que la valeur travail comme pilier de notre société ?
L’expérience montre que notre manière traditionnelle de dire qu’on voudrait ne pas travailler, cela ne marche pas. Il faut revenir sur ce qui fonde l’envie à la fois individuelle et collective de travailler pour en faire de la bonne transformation et de la subversion.
Oui, mais dans un cadre démocratique… Or, n’est-on pas en train de sacrifier la démocratie sociale ?
On est en train de nous vendre cette période de crise comme s’il y avait une guerre, pour nous faire accepter une restriction des libertés. Cela suscite beaucoup d’interrogations, notamment chez les syndicats, qui n’arrivent pas à trouver le moyen d’organiser une radicalité majoritaire, parce que cela pose la question immédiate du mode d’organisation de la société et de sa traduction politique. Il n’y a pas de force politique qui prétende assumer cette radicalité pour proposer une autre organisation sociale. Quand Nicolas Sarkozy dit qu’il faut refonder le capitalisme, il faut répondre non et opposer au capitalisme un autre système d’échange.
Autour de quelles pistes ?
Une démocratie sociale plus active et participative dans les lieux de travail est une des pistes. Il existe des solutions dans l’économie sociale et solidaire, et évidemment dans les services publics. Mais deux questions sont peu posées par les forces politiques et syndicales : la propriété privée et l’autogestion. Ce qui est invraisemblable dans cette crise, c’est qu’on n’en profite pas pour dire que des pans de l’économie nous appartiennent. Au lieu de remettre de l’argent dans les banques pour qu’elles continuent la même politique, on devrait en faire un bien collectif.
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Vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France, ancienne responsable syndicale et cofondatrice d’Agir ensemble contre le chômage.