Eternit face aux juges
En Italie, le leader mondial du fibrociment doit répondre de la mort de milliers de personnes.
dans l’hebdo N° 1047 Acheter ce numéro
Le procès de Turin, démarré lundi, est déjà historique, qu’il accouche ou non d’une condamnation exemplaire des industriels de l’amiante : par les circonstances du drame, le nombre des victimes et la puissance des accusés potentiels.
Près de 2 000 personnes, et peut-être bientôt le triple, se sont actuellement constituées parties civiles contre la société suisse Eternit, leader mondial du fibrociment (qui incorpore de l’amiante), qu’elles accusent de les avoir exposées au risque du cancer de l’amiante depuis les années 1950 sur des sites que l’entreprise possédait dans la péninsule italienne. À ce jour, plus de 2 000 personnes seraient déjà décédées et près de 1 000 autres seraient malades. Des dizaines de nouveaux cas de cancers des poumons (mésothéliome) se déclarent chaque année et, compte tenu des délais d’apparition, l’épidémie pourrait ne décliner que dans une dizaine d’années.
Ce procès n’est pas le premier : des responsables italiens ont déjà été condamnés dans les années 1990 pour négligences envers les travailleurs des usines – celle de Turin, qui concentre le plus grand nombre de cas, a même été fermée en 1986.
Mais l’affaire rebondit aujourd’hui avec une ampleur nouvelle car il est devenu évident que l’épidémie touche aussi les habitations des localités proches : le chargement d’amiante ou de fibrociment des camions qui les traversaient n’était pas confiné, des déchets de production étaient utilisés comme remblai, proposés même gratuitement aux habitants !
Si bien que le procès vise aujourd’hui au-delà des frontières italiennes, menaçant les plus hauts dirigeants de la multinationale à l’époque, Stephan Schmidheiny et Jean-Louis de Cartier, deux très grosses fortunes suisse et belge. Les audiences devront décider fin avril si un procès peut s’ouvrir contre eux, pour avoir sciemment participé à la catastrophe et pour non-respect des règles sur les maladies professionnelles. Il faudra pour cela percer l’opacité de la société Eternit, détenue par des capitaux familiaux et non cotée en bourse, en démontrant que les grands patrons n’ignoraient rien de ce qui se passait en Italie.
Le milliardaire suisse tente depuis des semaines d’empêcher la tenue du procès en proposant aux victimes de les indemniser si elles abandonnent leur plainte : 60 000 euros pour les décès, trois fois moins pour les malades. Une aumône qui provoque la fureur de certains, mais qui pourrait en tenter plus d’un : le procès promet d’être interminable, et les familles des victimes
– généralement des ouvriers – se débattent avec la crise.