Ils ont les antennes qui sifflent
Face aux récentes décisions de justice les obligeant à démonter des antennes relais,
les opérateurs ont organisé la riposte, encadrant de manière serrée le « Grenelle de la téléphonie mobile ».
dans l’hebdo N° 1049 Acheter ce numéro
Et un Grenelle de plus ! Après l’environnement, l’insertion puis la mer, la téléphonie mobile aussi a décroché le sien, tenu ce jeudi 23 avril au ministère de la Santé. Il avait été annoncé début février, dans un climat d’urgence provoqué par la décision de justice imposant en appel à Bouygues Telecom de démonter une antenne-relais à Tassin-la-Demi-Lune (Rhône). Une première en France, étayée par le principe de précaution, pour faire droit aux riverains redoutant pour leur santé.
Effet domino ? Dans la foulée, pour des motifs identiques, SFR s’est vu condamné à démonter une antenne à Carpentras, et Orange refuser une installation à Angers – en référé même, au nom de « l’évidence » sanitaire !
Une brèche immédiatement exploitée : plusieurs demandes de démontage viennent d’être déposées auprès de la justice par des associations. Pour les opérateurs, se profile le spectre de jurisprudences désastreuses, alors qu’ils ont toujours récusé tout démontage, afin de ne jamais accréditer de soupçon sanitaire. Tout juste concédaient-ils de temps à autre le déplacement d’une antenne trop « scandaleuse » (à quelques mètres d’une fenêtre, sur le toit d’une école, etc.).
La concertation lancée par le gouvernement pourrait déboucher, après trois autres rencontres (les 6, 7 et 15 mai), sur un ajout à la loi dite « Grenelle 2 » – qui doit mettre en musique les principes généraux de la première loi issue des décisions du Grenelle de l’environnement d’octobre 2006 (et toujours pas définitivement adoptée…).
Mais il faut plutôt craindre le surplace, tant les dés sont pipés. Car cette concertation semble avant tout destinée à rassurer les industriels, qui soumettent depuis des semaines le gouvernement à un chantage au « bon sens » : veut-on tuer la téléphonie mobile en France, alors que les opérateurs sont astreints à achever la couverture du territoire, c’est-à-dire à installer plus d’antennes ?
Tout d’abord, le format même de la réunion. Sur le modèle qui a fait le succès (initial) du Grenelle de l’environnement, le gouvernement a invité cinq collèges : les agences étatiques, les opérateurs, les collectivités locales, les associations et des personnalités qualifiées. Mais cela n’a pas été sans difficulté pour les associations [[Agir pour l’environnement (.),
Association santé environnement France (<www.france-sante-environnement.fr>.), Priartém (<www.priartem.fr>.), Robin des toits (<www.robindestoits.org>.), etc.]] – les seuls vrais opposants à la prolifération des antennes –, qui ont dû forcer le passage, initialement « oubliées » par Roselyne Bachelot. Car c’est la ministre de la Santé qui a hérité du dossier. Penchant pour les industriels, elle s’était illustrée au ministère de l’Environnement, en 2003, en déclarant que le nucléaire était une énergie propre.
Le dossier était auparavant traité au ministère de l’Écologie, où Nathalie Kosciusko-Morizet avait donné des gages aux contestataires, avançant en 2005 une proposition de loi pour abaisser le seuil de rayonnement des antennes-relais. Théoriquement coorganisatrice de la concertation au titre de son nouveau secrétariat d’État au développement numérique (depuis le 15 janvier), elle en a été marginalisée – en « voyage d’étude » aux États-Unis jusqu’à la veille de la réunion ! Au second plan également, Chantal Jouanno, qui lui a succédé au ministère de l’Écologie, elle aussi co-invitante.
Autre enfumage : ce jeudi 23 avril, une quarantaine de personnes devaient prendre la parole… de 9 h à 11 h 30. Au point que ce « Grenelle » a finalement été modestement rebaptisé « table ronde » – sur laquelle le ministère de la Santé se refusait à toute communication jusqu’au jour dit. « Tous les lobbies possibles ont été convoqués, ce qui ne laissait que trois minutes d’exposé par association : après la tentative d’éviction, c’est la stratégie de la dilution ! » , s’élève Stephen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement, invité.
Au total, constate-t-il, plus des trois quarts des orateurs de la table ronde sont acquis à la thèse de l’innocuité des antennes relais. Le ministère de la Santé affirmait même, dans un communiqué du 5 mars, « qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques […], l’hypothèse d’un risque pour la santé pour les populations vivant à proximité des antennes-relais de téléphonie mobile ne peut être retenue » , termes dictés par la lettre de mission du Premier ministre, François Fillon, pour la définition du périmètre de la concertation. Devant les protestations des associations, le tir avait été corrigé dans un autre communiqué indiquant qu’on traiterait bien « des effets potentiels des téléphones mobiles et des antennes-relais sur la santé ».
Mais, en début de semaine, nouveau rebondissement : toutes les personnalités scientifiques – les pro comme les contre – sont finalement évincées du collège des personnalités qualifiées de la table ronde, où ne subsistent qu’un juriste et deux sociologues ! Les empoignades entre études contradictoires ne seraient pas utiles à l’avancée du dossier, explique en substance le cabinet de Roselyne Bachelot aux associations, dont plusieurs délégués reconsidéraient finalement l’intérêt de leur participation…
Qu’en est-il, justement, sur le terrain scientifique ? Une affection nouvelle connaît depuis quelques mois une notoriété grandissante : l’électrohypersensibilité, un ensemble de troubles – maux de tête, insomnie, fourmillements, irritabilité et même problèmes cardiaques ou excès de cancer – attribués à l’exposition aux ondes électromagnétiques, et celles des antennes-relais entre autres.
La démonstration d’un lien de cause à effet reste cependant à établir. Les études sont peu nombreuses, mais si une majorité ne signale « rien », quelques-unes ont récemment forcé la contradiction. Elles sont systématiquement éreintées ou « oubliées » par les opérateurs – résultats non reproduits, protocoles insuffisamment robustes, etc. Quant aux deux sociologues de la table ronde, ils semblent acquis à l’hypothèse de la maladie psychosomatique. Un de ces travaux, dirigé par les Autrichiens Hans-Peter Hutter et Michaël Kundi et publié en 2006, échappe pourtant aux principales critiques : des tests cognitifs pratiqués sur quelque 350 personnes hors de tout contexte anti-antennes ont montré une relation significative avec le degré d’exposition à leurs ondes.
Plusieurs associations et scientifiques réputés réclament donc, par précaution, que l’exposition aux champs électromagnétiques des antennes ne dépasse pas 0,6 volt par mètre (V/m) [^2], soit trois fois moins que la moyenne actuellement relevée en France. Les opérateurs français rétorquent qu’ils respectent les plafonds européens, compris selon les réseaux entre… 41 et 61 V/m ! Cette norme est pourtant obsolète, destinée à parer les seuls effets aigus des ondes (l’échauffement, comme dans un four à micro-ondes) et pas les impacts qui se manifesteraient lors d’expositions chroniques, même à faibles niveaux (fractures de brins d’ADN, perturbation de fonctions organiques, etc.).
Neuf pays européens se limitent d’ailleurs volontairement à 3 V/m environ, seuil que le Parlement européen souhaite désormais généraliser (rapport adopté le 2 avril). Paris a contraint en 2003 les opérateurs à se limiter à 2 V/m, et vient d’adopter un vœu pour aller au-delà.
Plusieurs expériences ont ainsi démontré que la téléphonie mobile peut fonctionner à 0,6 V/m. C’est faisable en ville, eu égard à la densité d’antennes. Mais en milieu rural, où elles peuvent être distantes de plusieurs kilomètres, les opérateurs devraient les démultiplier considérablement, au prix d’énormes investissements supplémentaires. Alors, surtout, « ne rien toucher » : telle pourrait être leur devise.
[^2]: Demande du rapport BioInitiative de 2007 notamment, soutenue par une proposition de loi des élus Verts du Sénat.