La magie de la communication
dans l’hebdo N° 1047 Acheter ce numéro
Ah, le sourire de Barack Obama ! Ah, son aisance, sa décontraction ! Ah, cette aptitude à satisfaire avec élégance au rituel diplomatique ! Ah, le bonheur rayonnant de Michelle, son épouse ! Nos télévisions, à Londres comme à Strasbourg, n’avaient de caméras que pour eux. Et, avouons-le, nous cédons volontiers à l’insistante sollicitation médiatique. La politique n’a pas complètement effacé la signification du vote du mois de novembre dernier pour la société américaine. Et le temps ne nous a pas encore fait oublier le cauchemar dont nous sortions après huit années de règne sans partage d’une administration arrogante, médiocre et belliciste. La triple escale européenne du couple a donc été une nouvelle fois l’occasion d’un concert de louanges. Au bord de la pâmoison, un journaliste du J ournal du dimanche affirme même que « l’effet Obama tue toute possibilité de contester les gouvernements » (Claude Askolovitch interviewant le démocrate américain Howard Dean dans le JDD du 5 avril). La fin de l’histoire en quelque sorte. À lire ces mots, on se dit qu’il est temps de se reprendre. Bien entendu, il nous sera toujours plus doux d’entendre un président des États-Unis plaider pour le « multilatéralisme » , le respect de ses partenaires européens, voire la « dénucléarisation » de la planète, que l’inverse.
Mais il serait tout de même paradoxal que ce soit ce discours qui entame notre droit à la critique. Car le sourire enjôleur de Barack Obama ne doit pas nous entraîner là où nous ne voulons pas aller. En Afghanistan, par exemple. Il ne doit pas nous faire oublier ce qu’est l’Otan. Ce qu’est devenue l’Otan depuis que sa raison d’être – feu l’Union soviétique – a été engloutie par l’histoire. C’est-à-dire, comme le rappelait excellemment Alain Joxe ici même la semaine dernière, une police politique autoproclamée chargée de missions de maintien de l’ordre, partout dans le monde, et selon la définition néolibérale de l’ordre. De même, les magies de la communication ne doivent pas nous empêcher d’examiner sérieusement les résultats du G20. Certes, le symposium de Londres aurait pu tourner à la débandade. Relance contre régulation. Et intérêts nationaux contre intérêts nationaux. Mais, la crise étant ce qu’elle est, il y avait tout de même assez peu de risques. Car c’est le système capitaliste qu’il s’agit de sauver, et les « vingt » – Chinois compris – ont une conscience aiguë de cette nécessité. La traditionnelle photo de famille était donc tout sourires. Que la grande majorité de nos confrères partagent l’ivresse du succès n’est pas très étonnant. Notre corporation est d’un naturel grégaire. Elle s’identifie volontiers aux classes dirigeantes. Reste à savoir si cette bonne humeur communicative ira jusqu’à émouvoir les chômeurs de Gandrange ou les salariés en sursis de Continental. On en est moins sûr. Car les décisions prises à Londres ne nous parlent que très indirectement de la crise que subissent les peuples.
L’établissement de listes « noires » ou « grises » de paradis fiscaux les concerne bien peu. Certes, l’opprobre qui accable le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l’Uruguay, toutes puissances économiques de première importance, on en conviendra, et l’admonestation faite à trente-huit autres pays, invités à modérer leur goût pour le secret bancaire, ne sont pas des décisions négligeables. Encore faudrait-il connaître les sanctions encourues, la nature et le pouvoir du gendarme, et la sommation précise qui leur est faite. On peut ici émettre quelques doutes. À part la Belgique, aucun des pays figurant sur la liste « grise » des trente-huit n’est décidé à « supprimer » le secret bancaire (Lire à ce sujet l’article édifiant de Thierry Brun.). Quant aux fonds spéculatifs, ils sont, nous dit-on, placés « sous surveillance ». Mais ce n’est surtout pas la spéculation financière en tant que telle qui est visée. Pour prendre à bras-le-corps la question de la spéculation, il faudrait, par exemple, reprendre l’idée de la fameuse taxation des transactions financières revendiquée par Attac depuis 1997 et créer un fonds de solidarité, notamment en direction des pays du Sud. Ce n’est jamais le processus qui est contesté mais ses pires excès. Et encore ! Dans des conditions qui invitent à la prudence. Pour que les chômeurs de Gandrange et les salariés de « la Conti » puissent se réjouir en même temps que MM. Obama, Brown et Sarkozy, il faudrait qu’un quelconque G20 s’attaque au partage des richesses. À Londres, il s’agissait de tout autre chose. Pas question de songer à une autre répartition entre le capital et le travail. Or, ce n’est pas la première fois que la vieille lune d’un « code de conduite » des fonds spéculatifs sort comme une recommandation, ou un vœu pieux, d’un sommet international.
Enfin, l’annonce triomphale d’un triplement de la dotation budgétaire du Fonds monétaire international mérite tout autant examen. Les « sherpas » du G20 ont prudemment mis ce triplement au conditionnel. La concordance des temps aura échappé à nos exégètes. Et, quoi qu’il en soit, le FMI n’a jamais été le Samu social. Même pourvu de moyens supplémentaires, il demeure une machine redoutable pour aligner les économies sur les normes néolibérales, et placer des pays endettés sous le joug. Nous ne sommes pas insensibles au charisme du jeune président américain. Ni indifférents aux décisions de Londres. Nous savons faire la différence entre l’offre de dialogue à l’Iran et les menaces que proférait George Bush. Mais nos préoccupations sont aussi ailleurs, dans ces chiffres du chômage qui atteignent des proportions jamais connues depuis 1930. Cinq cent mille Américains ont, par exemple, perdu leur emploi au mois de mars. Et la vague déferle vers l’Europe. Il n’est pas sûr que le G20 ait apporté l’amorce d’une réponse à cette crise-là.
Retrouvez l’édito en vidéo, présenté par Denis Sieffert.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.