Nous devons changer de menu
La crise alimentaire révèle la nécessité de modifier en profondeur les modes de production et de consommation, notamment la place centrale de la viande, estime Natalie Gandais-Riollet, porte-parole des Verts Île-de-France.
dans l’hebdo N° 1047 Acheter ce numéro
La faim dans le monde ? Ce n’est pas seulement un problème de pauvreté des individus, c’est aussi un problème de manque de ressources alimentaires locales. Si les terres cultivables disparaissent avec les sécheresses et la désertification, dans le tiers monde, de plus en plus d’espaces cultivables sont destinés à des productions non vivrières : les agrocarburants, notamment.
Ainsi, en Indonésie, les cultures de palmiers à huile détruisent la forêt humide, qui est certes l’écosystème des tigres et des orangs-outangs, mais aussi celui des populations indigènes qui y vivaient de cueillette, de chasse et de pêche. En Colombie, ce sont les parcelles d’agriculture vivrière qui ont été transformées (voir le dossier de Politis n° 954) , et au Sénégal, c’est le jatropha, donné il y a deux ans comme une plante miracle parce qu’il pousse dans le désert, mais désormais cultivé sur des terres arables, au détriment de l’agriculture vivrière.
Mais les agrocarburants ne sont pas seuls en cause, et le modèle alimentaire carné des pays riches, que commencent à partager des pays émergents (Chine, Inde) constitue une nouvelle menace. On a besoin, pour se nourrir correctement, de calories principalement fournies par les glucides et les lipides, ainsi que de protéines (animales ou végétales) permettant d’entretenir et de renouveler les tissus. Dans les années 1960, en France, la viande était rare et chère. Dans les classes moyennes et modestes, on en mangeait parfois une fois par semaine seulement.
Avec le développement de l’élevage intensif, en batterie, d’animaux nourris au régime maïs-soja, dans les années 1960-1970, la viande est devenue accessible à tous. Avec les abus et les catastrophes sanitaires que nous avons tous en mémoire (veau et poulet aux hormones, poulet à la dioxine, vache folle…). La production d’1 kg de protéines animales occupe 10 à 15 fois plus de terre agricole que la production d’1 kg de protéines végétales.
On doit aussi prendre en compte la menace qui pèse sur les réserves d’eau potable : en Californie, il faut 100 l d’eau pour produire 1 kg de pommes de terre, 4 600 l pour 1 kg de viande de porc, 4 100 l pour 1 kg de viande de poulet, et 13 000 l d’eau pour 1 kg de viande de bœuf !
Attention : si la production de viande, en France, pèse lourdement sur notre propre réserve en eau (pour l’arrosage des cultures de maïs fourrager), elle pèse aussi sur les terres cultivables d’autres régions de la planète : au lieu de produire nous-même les protéines suffisantes pour l’alimentation du bétail, nous achetons des tourteaux de soja en Amérique du Nord et du Sud. La culture du soja au Brésil illustre comment la consommation de viande pèse sur la forêt amazonienne. Alors que, dans le même temps, notre gouvernement subventionne les producteurs de tournesol, de betteraves et de céréales pour alimenter en E-10 et en biodiesel les réservoirs de nos voitures !
Que changer, et comment convaincre qu’il le faut ?
Une étude des experts d’ Agrimonde (février 2009) pronostique une convergence des régimes alimentaires en matière d’apport calorique, et notamment une diminution de 4 000 à 3 000 de l’apport calorique quotidien dans les pays de l’OCDE.
L’avenir de l’alimentation de la planète y est envisagé du côté de l’agriculture : des progrès à accomplir tout en préservant l’environnement et les espaces de biodiversité. La diminution de la consommation des pays riches est proposée ; mais au-delà de la prise de conscience, de la « dissémination » du concept d’alimentation durable après les « émeutes de la faim » et du souhait qu’une attitude plus responsable soit encouragée par les acteurs de la société civile comme par les pouvoirs publics, il est souligné que manquent encore des connaissances pour mieux comprendre la complexité des comportements alimentaires et de leur relation à la santé… Il y a aussi des entraves au changement pour un mode d’alimentation plus soutenable, telle l’intervention des lobbies de la viande et des produits laitiers.
Les conséquences sanitaires de la malnutrition se manifestent aussi en France, comme le révèlent plusieurs rapports dramatiques sur la situation alimentaire des « pauvres » chez nous. Christine César indique que, s’il est possible de s’y alimenter correctement avec 3,60 euros par jour (le seuil de « pauvreté alimentaire »), les personnes les plus en difficulté ne disposent pour se nourrir que de 2,50 euros. Dans ces conditions, il n’est pas possible d’avoir une alimentation équilibrée.
Pour changer « en douceur », il faudra éduquer à des goûts nouveaux, à de nouveaux équilibres de repas. Les diététiciens, par exemple, doivent pouvoir enseigner comment introduire des produits de l’agriculture biologique dans les menus des collectivités, ce qui implique non seulement une politique d’achats différente, mais surtout de composer différemment les menus, pour faire face au coût plus élevé des denrées. Une nouvelle étape serait aussi d’enseigner l’usage et la consommation des protéines végétales, par exemple sous la forme d’un repas végétarien par semaine dans les cantines.
Il restera aussi à prendre en compte les conditions de travail des paysans et des ouvriers agricoles. Notamment à l’intérieur même de l’Union européenne : peut-on accepter de consommer certains produits espagnols, par exemple, quand on connaît les conditions sanitaires et de travail épouvantables des hommes et des femmes immigrés employés aux récoltes ? Ce devra être l’objet d’autres campagnes de sensibilisation encore…