Philippe Val, le roi des convertis
Philippe Val, patron de Charlie Hebdo, nouveau directeur de France Inter ?
Il ne s’agit pas d’un poisson d’avril.
Cette promotion serait le couronnement logique d’une longue décennie d’apostasie.
dans l’hebdo N° 1047 Acheter ce numéro
Philippe Val, chef suprême de France Inter ? Promu à ce poste, qui plus est, par le chef de l’État français ? L’intéressé, après avoir comiquement nié être « au courant » , a fini par confirmer qu’il s’agissait d’ « une probabilité » – et non d’un (gros) poisson d’avril.
Pour bien comprendre comment le directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo en est arrivé à se laisser ainsi montrer en icône de l’ouverture chère à Nicolas Sarkozy, il faut remonter le temps.
Nous sommes à la fin des années 1990 : Philippe Val, qui n’est alors « que » rédacteur en chef de Charlie , vient de lire l es Nouveaux Chiens de garde [^2], et il a positivement adoré. Il s’est gondolé à l’évocation des « BHL, Giesbert, Ockrent, Sinclair […] voguant dans la même croisière de milliardaires » , qui « n’ont aucune envie de voir se tarir le fleuve des privilèges qui prend sa source dans leurs connivences et leurs compromissions » , et il a gloussé aux pages où l’auteur, Serge Halimi, moque un renommé philosophe de médias: il faut absolument, écrit Val dans son éditorial du 19 novembre 1997, « lire à haute voix entre copains » le passage consacré aux « amis de Bernard-Henri » » Lévy, qui est « à hurler de rire » . Il est vrai qu’à l’époque le patron de Charlie a lui-même la dent assez dure, quand il mord(ille) les nouveaux philosophes : BHL, écrit-il encore en 1998, c’est « l’Aimé Jacquet de la pensée ».
Tempora, mores : dix ans plus tard, dans un burlesque essai paru à l’automne 2008 [^3] , le même Val lèche longuement le même BHL, qui « a toujours été du bon côté, depuis l’antistalinisme et l’antisouverainisme des années 1970, jusqu’à son engagement à gauche aux dernières élections, en passant par la Bosnie et l’Algérie de la guerre civile » – et qui aura de son côté le bon goût, sans que son auteur ne s’offusque de cette ahurissante connivence [^4], de souligner dans le Point que cet essai « est un livre dense, grave, qui prend à bras-le-corps quelques-unes des questions les plus essentielles, les plus aigües, de notre temps ».
Serge Halimi, en revanche, ne fait plus (du tout) rire Val. Il est vrai : l’auteur des Nouveaux Chiens de garde a eu l’effronterie de ne pas glapir de joie quand l’Otan a bombardé la Yougoslavie en 1999 – alors que pour le boss de Charlie , qui a frénétiquement battu des mains, « aucune autre solution » que cette (sale) guerre n’était « envisageable » . Pis : Halimi a ensuite cosigné dans le Monde diplomatique , au mois de mars 2000, un article soulignant que, très « à rebours des traditions libertaires et pacifistes de son hebdomadaire » , Val avait quant à lui soutenu dans ses éditoriaux « l’intervention de l’Otan ».
Ulcéré par tant d’impudence, Val revêtira quelques années plus tard sa blouse de psychiatre, pour formuler ce raffiné diagnostic : « Halimi […] a sans doute été dépassé par le succès de son livre, ses petits fusibles ont fondu. […] Le malheureux s’est mis à se vautrer dans la dénonciation, usant de procédés révélant une déchéance morale qui fait pitié, venant d’un garçon si prometteur. » (Retenue, perspicacité, pudeur : tout Val est dans cette saillie.) Surtout : la remise en cause du modèle médiatique prédominant, telle que la pratique Halimi, est au fond « un thème d’extrême droite » . Pour le dire autrement : Halimi est probablement un peu nazi sur les bords – comme d’ailleurs la plupart des arrogants faquins qui ont le front de n’être pas de l’avis de Val sur la vie.
En moins de dix années, le Philippe Val des nineties , qui ne dédaignait pas de faire éventuellement la preuve de son insoumission (et de celle de Charlie ) à l’air du temps, n’a pas seulement changé d’avis sur BHL ou sur la critique des médias : converti aux joies simples de la pensée dominante et de l’iconoclasme pour fin de banquets UMP, il juge désormais, et en vrac, liste non exhaustive, qu’il n’y a pas de démocratie sans marché, qu’il faut (naturellement) « trouver des moyens de maîtriser l’immigration » , que les gens de « France Palestine » sont des « gros connards qui, en réalité, dépensent toute leur énergie, non en amour des Palestiniens, mais en haine des Juifs, de l’Amérique et de la démocratie en général » [^5], et (bien sûr) que le président vénézuélien Hugo Chavez est un dangereux caudillo.
Pour autant, et pour étonnant que cela puisse paraître, son « probable» catapultage à la présidence de France Inter n’a pas complètement dessillé les yeux de certains commentateurs, qui s’obstinent à considérer que l’impétrant serait « de gauche » , et que sa désignation par Sarkozy serait par conséquent un nouvel épisode, singulièrement réussi, du feuilleton de l’ouverture.
Ceux-là négligent que le Val new look des années 2000 dit sur bien des sujets la même chose, exactement, que les penseurs de chevet du sarkozysme. Que sa production éditoriale diffère si peu, désormais, de celle des émérites penseurs du Figaro , qu’iceux n’ont de cesse que de lui rendre de vertigineux hommages – tel Alexandre Adler écrivant, après le renvoi de Siné : « Aujourd’hui, on voit en tout cas qui a la trempe d’un Zola, d’un général Picard : c’est Philippe Val. Et qui a la bassesse de Drumont, de Maurras ou de Bernanos : ce sont les pétitionnaires semi-trotskistes en faveur de l’éternel stalinien Siné » …
Qui se ressemble finit souvent par s’assembler, et la propulsion élyséenne du Zola du nouveau siècle ne devrait pas surprendre : elle est la juste rétribution d’une longue décennie de reniement(s).
[^2]: Editions Liber-Raisons d’agir.
[^3]: Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous, Grasset.
[^4]: D’autant plus sidérante que BHL et Val ont le même éditeur !
[^5]: Huit mois après avoir lâché cette rude saillie, Val écrira : « J’admets bien volontiers que ces propos ne concernaient pas France Palestine Solidarité (AFPS). C’était évident, mais cela va mieux en le disant. » D’autant mieux, en effet, que cette association est la seule à s’appeler France Palestine…