Un boomerang vers l’Occident
La mort de jeunes pirates abattus par nos commandos d’élite nous apparaît comme la moindre des choses. Peut-on néanmoins essayer de comprendre ?
dans l’hebdo N° 1049 Acheter ce numéro
La région, décidément, est propice à la flibuste et à toutes sortes d’activités illicites. Mais, quand ce sont les nôtres qui se livrent à la contrebande et au trafic d’armes dans la Corne de l’Afrique, le mythe n’est jamais très loin. Rimbaud, en Abyssinie, et Henry de Monfreid, à bord de son boutre sur la mer Rouge ou dans le golfe d’Aden, nous font rêver. Les pauvres hères qui braquent leurs fusils (sans jamais en faire usage) contre des marins égarés ou imprudents ou inconscients deviennent immédiatement l’incarnation du mal absolu. Il n’est évidemment pas question ici de faire l’apologie de cette nouvelle piraterie. Mais, comme toujours, il y a, pour qui veut bien s’interroger, quelques causes rationnelles à rechercher. On ne naît pas plus pirate qu’on ne naît terroriste. Un des chefs du FLN algérien apostropha un jour ses futurs bourreaux français avec ces mots en forme de défi : « Donnez-moi vos avions de chasse et je vous donnerai mes explosifs. » On imagine que les pirates du golfe d’Aden, privés par la pollution de leur activité traditionnelle, la pêche, pourraient adresser quelque formule paradoxale du même style aux armateurs qu’ils tourmentent. Il n’est pas mauvais parfois de se livrer à cette gymnastique de base qui consiste à envisager le point de vue de l’autre. Non, nécessairement, pour l’adopter, ni même pour l’excuser, mais pour comprendre la complexité du monde. Les pirates d’Eil ou de Hobyo renvoient en boomerang aux puissants armateurs occidentaux qui croisent au large de la côte somalienne leur propre piraterie.
Ils appartiennent à un pays dont le taux de mortalité infantile est de 126 pour 1 000, où l’on meurt en moyenne à 46 ans, dont le taux d’analphabètes est de 50 % chez les hommes et 74 % chez les femmes, et dont le PIB par habitant est de 600 dollars (il est de 28 000 dollars en France) [^2]
. Doit-on s’étonner que ces gens dont, par ailleurs, des chalutiers occidentaux pillent les ressources au mépris de toutes les règles [^3] usent pour survivre de moyens désespérés ? Hélas, notre regard sur ces événements est dramatiquement borné. Au point que la mort de ces jeunes gens abattus par nos commandos d’élite nous apparaît comme la moindre des choses.
[^2]: Chiffres : l’État du monde, 2006, La Découverte.
[^3]: Voir à ce sujet l’article de Johann Hari, de The Independant du 13 avril sur le site de .